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Gluck et l’Europe musicale
Gluck est un compositeur qui a vécu au cœur du XVIIIe siècle : il naît en 1714 et meurt en 1787, à la veille de la Révolution française. Il assiste aux grands changements de son siècle, qu’il illustre par sa musique. La société se transforme et sa musique va être à la fois vivement applaudie et critiquée. Tout comme Haendel, Mozart ou encore les fils de Johann Sebastian Bach, Gluck est un musicien qui parcourt une bonne partie de l’Europe : l’Italie, l’Angleterre, et même le Danemark, avant de s’établir plus durablement à Vienne. Il fréquente les princes et les rois pour lesquels il compose des opéras « sérieux »appelés opera seria, mais ne néglige pas le public plus large, pour lequel il adapte par exemple à Vienne des opéras-comiques français, sur des sujets plus légers. Ayant conscience d’une possible synthèse des styles, Gluck écrit peu de temps avant sa venue à Parisen février 1773 dans la presse française qu’il veut produire une musique propre à toutes les nations, et faire disparaître la ridicule distinction des écoles nationales
.
La singularité de l’opéra français
L’opéra français, auquel Gluck se confronte, demeure singulier dans le panorama général de l’opéra européen : il s’agit d’un opéra durablement marqué par les personnalités de Lully et de Rameau, et par des querelles nombreuses, telle celle dite « des Bouffons », qui opposa les partisans de Rameau à ceux de Rousseau, adeptes de la musique italienne. Le philosophe, dans sa Nouvelle Héloïse, critique d’ailleurs durement l’opéra français qui n’est pour lui que convention, faux goût de magnificence
. Ne va-t-il pas jusqu’à écrire que le français paraît être de tous les peuples d’Europe celui qui a le moins d’aptitude à la musique
? D’une manière générale, nombreux sont les textes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en France, qui témoignent d’une volonté de réformer l’opéra : il s’agit de l’ennoblir, d’en faire une « affaire d’état », d’éduquer à la musique. De s’adresser non plus à un petit cercle, mais à tout le peuple.
Un opéra démodé
Au moment où Marie-Antoinette arrive en France, en 1770, le vieil opéra de Lully tient toujours le haut de l’affiche : il paraît cependant bien désuet à la jeune autrichienne, tout comme la raide étiquette de la cour versaillaise, léguée par le Roi Soleil. Deux nouveaux opéras, inaugurés justement la même année, témoignent cependant de l’engouement constant des français pour le genre. L’opéra royal de Versailles, incorporé dans le château de Louis XIV, est inauguré lors du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette. Celui de Paris, nouvellement reconstruit, se situe à l’angle du Palais-Royal. C’est dans cette dernière grande salle de plan circulaire, qui peut contenir plus de deux mille spectateurs - avec un parterre de spectateurs se tenant debout - que Gluck va représenter la quasi totalité de ses opéras français.
La réception de l’œuvre de Gluck en France
Gluck - conscient de son importance - se heurte assez vite aux musiciens de l’orchestre ou aux chanteurs, dont il veut bousculer les habitudes : il dit lui-même qu’il ne fait pas de répétitions, mais donne aux musiciens des « leçons » de déclamation, de chant, etc… Sa femme l’accompagne parfois, tant elle est inquiète de l’issue de ces rencontres conflictuelles. Gluck s’emporte tellement, en dirigeant les musiciens, qu’il lui arrive que sa perruque glisse et lui cache la vue !
Iphigénie en Aulide, le premier opéra français de Gluck monté à Paris, est un événement considérable. Jean-Jacques Rousseau - qui assiste à une des répétitions - adresse au compositeur une lettre admirative. Lors de la première, le 19 avril 1774, toute la cour est présente, Marie-Antoinette en tête. C’est un événement presque comparable à la création du Barbier de Séville de Beaumarchais, un an plus tard, en 1775 : l’œuvre de Gluck provoque soit le rejet, soit l’adhésion.
À partir de 1775, deux partis résolument opposés se forment : les gluckistes et les piccinnistessoutenant Niccolò Vito Piccinni, compositeur italien (1728-1800), ces derniers ne supportant pas la « francisation » de l’opéra italien à laquelle se livre Gluck. C’est finalement le renouveau apporté par Gluck qui triomphera, tant son influence sera grande sur de nombreux compositeurs, non seulement au XVIIIe mais encore davantage au XIXe sièclenotamment auprès de Berlioz, qui l’admire.
Auteur : Bruno Guilois