Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
La famille Gluck
La famille de Gluck est originaire de Bohèmequi constitue aujourd’hui une grande partie du territoire de la République tchèque. Le nom de Gluck, en tchèque, désigne d’ailleurs le « garçon », le « gars ». Les ancêtres de la famille sont tous des forestiers, de père en fils. Alexander Gluck – père du compositeur – quitte sa région d’origine et s’établit provisoirement en 1711 dans un petit village appelé Erasbach, entre les villes de Nuremberg et Ratisbonne. C’est là qu’il se marie en 1712, et que naît le 2 juillet 1714 Christoph Willibald Gluck. Le futur compositeur est le tout premier enfant du couple, qui aura en 1716 un second fils, Christoph Anton. Après quelques années de résidence à Erasbach, la famille quitte le village en 1717 pour s’installer à nouveau en Bohème.
Une enfance itinérante
Dans cette région verdoyante, sur la trace de ses ancêtres, Alexander devient « maître des forêts » au service des grandes familles nobles qui y possèdent de vastes domaines. Il y est l’homme de confiance des riches Médicis, puis de la non moins puissante famille des Lobkowitzgrande famille princière qui protègera plus tard le jeune compositeur. Cette position favorable permet à Alexander de s’enrichir confortablement et d’être même qualifié de « noble seigneur » durant les dernières années de sa vie ! Ce temps de l’enfance est marquant pour le jeune Christoph Willibald Gluck, qui suit son père dans ses périples en forêt, souvent pieds nusd’après le témoignage d’un de ses frères. C’est sans doute dans ces années qu’il acquiert son goût pour le contact direct avec la nature, ainsi que sa solide corpulence.
La première formation
Dans les différentes villes où passent ses parents, l’enfant est aussitôt remarqué pour ses dons musicaux, à l’église, comme enfant de chœur. Son père, devenu un homme aisé, l’envoie en 1731 à l’université de Prague, afin qu’il s’y instruise plus sérieusement. Celui qui est devenu un jeune homme passe en fait la majeure partie de son temps à sa passion favorite, la musique, d’autant que ses diverses prestationsIl joue ainsi pour des bals campagnards ! lui permettent de subvenir à ses besoins matérielsSon père ne lui fournit pas une pension tout à fait suffisante.. Après trois années passées à Prague, Gluck cherche alors à se perfectionner dans l’art musical à Vienne. Devant le refus de son père à le laisser partir, il s’en va seul, à pied, mettant 15 jours à parvenir aux portes de la « ville des musiciens », où il compte bien tenter sa chance. Aidé par le prince Lobkowitz, il s’y installe durant une année.
Le séjour en Italie et les premiers opéras
Gluck part finalement pour Milan en 1736 au service d’un riche amateur de musiqueIl s’agit d’Antonio Maria Melzi (1672-1737). qui le prend à son service. Ce long séjour en Italie – neuf années – va lui permettre de travailler sous la direction du compositeur SammartiniGiovanni Battista Sammartini (1700-1775) qui lui apprend de manière plus approfondie la composition. Son premier opéra Artaxerxès, créé en 1741 à Milan, est un succès. Cela lui vaut de nombreuses commandes d’opéras par d’autres villes italiennes, comme Venise ou Turin.
Une vie itinérante
De 1746 à 1752, Gluck voyage en Europe, passant par Londres – où il rencontre Haendel. Revenant sur le continent, il travaille alors pour une troupe ambulante d’opéra italien dirigée par les frères MingottiAngelo (1700-1767) et Pietro (1702-1759) : cette formation parcourt l’Europe durant plus de vingt ans, se produisant dans les villes ou les cours princières ne disposant pas d’un personnel musical résidant. Il a ainsi l’occasion de connaître l’Europe musicale de son temps : Dresdeoù il rencontre par exemple pour la première fois le chorégraphe Noverre, Copenhague ou Prague.
L’installation à Vienne
Peu après s’être mariéavec Maria Anna Pergin (1732-1800), il s’installe à Vienne, tout en continuant de recevoir de nombreuses commandes d’opérasde Prague, Naples, Rome…. Apprécié par la haute société viennoise, il se fait vite connaître de la cour impériale : il compose ainsi un petit opéra, Le CinesiLes Chinoises, opéra en un acte sur un livret de Métastase, qui lui vaut la reconnaissance du public. Gluck travaille bientôt pour la chapelle de la cour et devient chef d’orchestre du théâtre du palais. Très fier d’être fait chevalier de l’Éperon d’or par le pape, professeur de la jeune Marie-Antoinettequi deviendra reine de France (1755-1793), il compose durant cette intense période une trentaine d’opéras.
Le séjour parisien
Gluck travaille en 1773 à un nouvel opéra Iphigénie en Aulide, en français, sur un livret que le bailli du RoulletFrançois-Louis Gand Le Bland du Roullet, écrivain, diplomate et librettiste (1716-1786) a écrit sur la tragédiecréée en 1674 Iphigénie de Jean Racinedramaturge français (1639-1699).
Le projet pique la curiosité des amateurs français : le compositeur est bientôt engagé par l’Académie royale de musiquecréée en 1669 et dirigée par Lully à partir de 1672 pour écrire six opéras de ce genre.
Gluck arrive à Paris le 20 novembre 1773, où son nouvel opéra est donné le 19 avril 1774, avec le soutien actif de Marie-Antoinette. Ce nouvel opéra et ceux qui suivent – Orphée et Eurydice (1774), Alceste (1776), Armide (1777), Iphigénie en Tauride (1779), Écho et Narcisse (1779), ainsi que l’opéra-ballet Cythère assiégée (1775) – déchaînent les passions. Les amateurs d’opéra se répartissent alors en deux camps ennemis : les gluckistes et les piccinnistes, ces derniers soutenant face à Gluck le compositeur Piccinni.Niccolò Vito Piccinni, compositeur italien (1728-1800) Déçu par l’échec d’Écho et Narcisse, diminué par une attaque d’apoplexie, Gluck rentre finalement à Vienne, où il meurt le 15 novembre 1787.
Le langage musical de Gluck
Une expérience approfondie de l’opéra
Gluck, tout comme plus tard Mozart, a acquis une grande expérience lors de ses voyages. En Italie, il apprend toutes les conventions de l’opera seriaopéra italien de style « sérieux » tout en donnant une importance accrue à l’orchestre dans ses productions, grâce à l’enseignement de son professeur Sammartini. Dans ses opéras composés pour Vienne, à partir de 1750, il développe déjà la présence des chœurs et des ballets, chose alors peu habituelle. Il sait de même adapter au goût viennois populaire les opéras-comiques importés de Paris. Il a ainsi pris progressivement l’habitude de s’écarter des conventions de l’opera seria : suppression des airs da capoc’est-à-dire avec une partie reprise et des récitatifs, utilisation de paroles et de mélodies plus naturelles…
La « réforme » gluckiste
Gluck est conscient des défauts des livrets de MétastasePietro Trapassi, dit Metastasio, poète italien (1698-1782) qu’il connaît bien pour avoir composé sur ceux-ci la majorité de ses opéras. La rencontre avec son nouveau librettiste Ranieri de Calzabigiécrivain et librettiste italien (1714-1795) en 1761 est décisive : l’écrivain déclame ses textes à Gluck avec la nuance qu’il veut obtenir lors de la mise en musique. Pour plus de naturel et d’efficacité dramatique, Calzabigi demande au compositeur la suppression des ritournelles instrumentales ou des cadences, alors incontournables dans l’opera seria italien. La collaboration des deux hommes démarre dès le ballet Don Juan ou le Festin de pierre (1761) et se poursuit ensuite par Orfeo ed Euridice (1762), Alceste (1767) et Paride ed Elena (1770).
Une nouvelle vision de l’opéra
Gluck a l’occasion d’exprimer dès 1773 dans le Mercure de France, au sujet d’Iphigénie, sa vision du nouvel opéra : le chant doit être plus naturel, par la suppression des trilles et ornements inutiles. Gluck promeut aussi une importance nouvelle donnée au chœur, comme dans la tragédie antique : avant tout homme de théâtre, il s’attache à ce que les moyens musicaux de ses opéras soient véritablement au service de l’action et du texte. C’est une vraie « révolution » à laquelle se livre Gluck, et avec lui les spectateurs de ses opéras : celle de la sensibilité. Mademoiselle de LespinasseJeanne Julie Eléonore de Lespinasse, épistolière et amie de d’Alembert (1732-1776) écrit ainsi ces mots célèbres, après avoir entendu Orphée : Cette musique me rend folle : elle m’entraîne ; je ne puis manquer un jour : mon âme est avide de cette espèce de douleur.
Auteur : Bruno Guilois