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Écho et NarcisseChristoph Willibald Gluck 1. Genèse et création
Carte d’identité de l’œuvre : Écho et Narcisse de Christoph Willibald Gluck |
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Genre | opéra : drame lyrique |
Librettiste | Jean-Baptiste-Louis-Théodore de Tschudi, d’après les Métamorphoses d’Ovide |
Composition | en 1778 (révision en 1780) à Vienne et à Paris |
Création | le 24 septembre 1779 à l’Opéra de Paris, par Monsieur Laîné (Narcisse) et Mademoiselle Beaumesnil (Écho), dans une mise en scène de Noverre |
Forme | opéra en trois actes. Un prologue est ajouté dans la version révisée de 1780. |
Instrumentation | bois : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 2 cors, 3 trombones percussions : timbales cordes pincées : 1 clavecin cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Un livret suivi à la lettre
Gluck conçoit son drame lyrique en s’appuyant sur les paroles du baron de Tschudi, qui s’inspire directement des Métamorphoses d’Ovide. Le livret, que Tschudi a remis dès mars 1777, plaît à Gluck, qui l’emporte avec lui lors de son départ de Paris pour Vienne, en février 1778. Il travaille à cette nouvelle œuvre conjointement à son opéra Iphigénie en Tauride et est de retour à Paris dès le 20 novembre 1778, les deux partitions déjà presque terminées sous le bras.
Conformément au sujet, Tschudi a pris soin de prévoir dans son livret des effets d’écho, que Gluck va trouver très à propos de traduire en musique, dans l’ouverture et dans le dernier acte, en utilisant par exemple un orchestre caché en plus de celui présent dans la fosse. La fin est heureuse, contrairement au sort qu’Ovide avait réservé aux deux amants : Narcisse ne meurt pas et le dieu de l’Amour lui rend Écho, de manière providentielle. Gluck termine ainsi son œuvre par un hymne à l’Amour entraînant et un ballet.
Si Gluck prévoit de donner à cette nouvelle œuvre une tournure plus aimable que ses œuvres précédentes, il s’attarde néanmoins, en homme de théâtre, à décrire musicalement le drame humain déchirant des héros Narcisse et Écho. Le chœur « à l’antique » se fait entendre, tout comme dans ses tragédies les plus poignantes, et Gluck va jusqu’à emprunter des extraits à certaines de ses œuvres précédentes : Antigono, La Danza, Paride ed Elena, Ezio, Il Re pastore. Le chœur final d’Écho et Narcisse est d’ailleurs une reprise littérale du chœur terminant Orphée et Eurydice.
Des ballets obligés
Dans ses opéras, Gluck a précédemment réhabilité la danse, ou plus exactement la pantomime. Le genre de l’opéra-ballet qui domine à Paris l’agace un peu, lui qui veut avant tout mettre en valeur le déroulement sur scène d’une action. Il s’en irrite parfois tellement qu’il menace souvent dans ses lettres de démissionner ! Dès 1775, il écrit qu’il rejette les ballets exceptés ceux qui conviennent à l’action, et si l’on n’en est pas content, je ne ferai plus d’opéra, car je ne veux pas me faire reprocher dans tous les journaux que mes ballets sont faibles, médiocres, etc…
. Mais il a signé un engagement financier si avantageux qu’il se plie à ces contraintes. Dans Écho et Narcisse, il fait donc en sorte d’insérer les ballets demandés dans la continuité de l’action.
Des répétitions à la création
Les premières répétitions d’Écho et Narcisse ont lieu durant l’été 1779. Les noms des différents artistes nous sont connus : Noverre s’occupe de la mise en scène et de la pantomime ; Monsieur Laîné incarne Narcisse ; Mademoiselle Beaumesnil joue le rôle d’Écho. Dès le mois de juin, l’œuvre est attendue avec impatience par les détracteurs de Gluck, qui ne lui prédisent aucun succès. Le compositeur, sans doute surmené, est victime le 30 juillet, au beau milieu des répétitions, d’une attaque d’apoplexie dont les symptômes étaient très effrayants
, écrit Le Journal de Paris le 5 août. Les adversaires de Gluck, sachant que le livret est un peu faible, s’attaquent directement à l’œuvre, suggérant au compositeur d’écrire une musique intéressante sur des paroles qui ne le sont pas
! La dernière répétition a lieu le 21 septembre et Écho et Narcisse est joué pour la première fois devant le public trois jours plus tard, le 24 septembre 1779.
L’œuvre est hélas mal accueillie. Gluck a habitué son public à des œuvres fortes, poignantes, pathétiques : ce « drame pastoral » plus léger déconcerte, alors qu’Iphigénie en Tauride résonne encore aux oreilles des amateurs. Les gluckistes incriminent la faiblesse du livret : Il est vrai qu’il n’est pas possible de lire de plus mauvaises paroles
, écrit Le Journal de Paris le 30 septembre 1779. Si l’ouvrage ne peut rien ôter à la réputation de M. Gluck, elle ne peut rien y ajouter
, lit-on encore en octobre 1779. Gluck, fatigué, diminué physiquement, quitte Paris le 7 octobre 1779. À un auteur qui lui demande de collaborer avec lui, il écrit plus tard de Vienne j’ai fini ma carrière, mon âge, et le dégoût que j’essuyais dernièrement à Paris par rapport à mon opéra de Narcisse m’ont pour jamais dégoûté d’en faire encore d’autres
.
Une œuvre remaniée
Le librettiste Tschudi demande à Gluck, revenu à Vienne, de réécrire une partie de l’œuvre. Le compositeur hésite, puis répond à la demande qui lui est faite. De Vienne, Gluck écrit de nombreuses lettres pour aider à monter, à distance, une nouvelle version plus recevable. En bon dramaturge, il veille à tous les détails du spectacle. Il recommande par exemple les mêmes décors, à cette différence près qu’il faut que le temple de l’Amour s’ouvre, afin que le spectateur voie facilement ce qui se passera dedans
, ce qui permet de créer sur scène un bel effet de surprise. La cohérence de l’action retient toute son attention : il réclame par exemple que les paroles de Cyrine son cœur change… quel trouble sinistre émeut les éléments
soient soulignées par un effet de tonnerre. Gluck, précis, va jusqu’à écrire qu’il faudra avoir grand soin que le coup de tonnerre parte à propos
! De même cherche-t-il à régler, depuis Vienne, les déplacements sur scène : dans le prologue, l’Amour doit dire ces quatre premiers vers sur les degrés du temple qu’il achève de descendre
. De la même manière, il demande que pendant la ritournelle instrumentale de l’air d’Eglé, on établisse sur la montagne des mouvements de danse qui n’en doivent pas descendre, et surtout, après l’air, en se perdant à la vue
.
Gluck insiste surtout de manière générale sur la sensibilité de l’interprétation, qui doit être présente à la fois dans les mouvements généraux des ballets et des gestes individuels. Ainsi, à l’acte II, scène 2, Écho mourante, portée par ses suivantes, doit être accompagnée par des mouvements et des gestes de sensibilité et de peine dans le jeu de toutes les nymphes
. Toujours homme de théâtre, il insiste aussi beaucoup sur la lisibilité du texte, qui doit être déclamé
, avec un chant tendre mais animé
, afin de centrer l’attention des spectateurs sur l’action.
Redonné dans la nouvelle version, remaniée en août 1780, l’ouvrage reste cependant modestement apprécié, car le public le compare toujours aux autres œuvres sérieuses du compositeur. Soucieux de la postérité de ses opéras, Gluck consacre les dernières lettres écrites à Paris aux détails de l’édition d’Écho et Narcisse, qu’il suit de très près. Une autre reprise a finalement lieu à Paris fin août 1781, avec neuf représentations, reprise motivée par les mauvaises nouvelles de la santé du compositeur. Écho et Narcisse, encore modifié après la mort de Gluck, sera représenté en tout quarante fois entre 1779 et 1816, avant d’être redécouvert et rejoué plus tardivement à Munich, en 1916.
Auteur : Bruno Guilois