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La musique en Russie au XIXe siècle
Durant la première moitié du XIXe siècle, les compositeurs russes n’écrivent que très peu d’œuvres : quasiment aucune symphonie ou concerto et peu de musique de chambre. Cependant, la société russe devient chaque jour plus citadine, et pratique de plus en plus la musique occidentale en amateur éclairé.
Diffusion de l’œuvre de Mozart, Haydn et Beethoven
Au début du XIXe siècle, l’événement marquant pour le développement de la musique en Russie est la création en 1802 de la Société philharmonique de Saint-Pétersbourg, qui rassemble des personnalités du monde de la culture, de la finance, des musiciens et de riches aristocrates. Cette société permet en effet de faire entendre en Russie les grandes œuvres du répertoire européen contemporain, alors peu connu dans l’Empire : ainsi les Pétersbourgeois peuvent-ils, dès 1802, assister à la première en Russie de l’oratorio La Création (créé à Vienne en 1798) de Joseph Haydn, et en 1805 à la première représentation sur leur sol du Requiem de Mozart. Beethoven écrit en 1806 ses trois Quatuors à cordes op. 59 dédiés à leur commanditaire, le comte Razoumovskicomte Andreï Razoumovski (1752-1836), mélomane qui se fait constituer un quatuor privé, dans lesquels il utilise des thèmes russes. Mécène du compositeur, le prince Nikolaï Galitzine1794-1866, violoncelliste amateur, est commanditaire des derniers quatuorsles n° 12, 13 et 15 et propage l’œuvre du musicien en Russie. La Missa Solemnis de Beethoven est d’ailleurs donnée en avant-première mondiale à Saint-Pétersbourg le 26 mars 1824, deux semaines avant la création viennoise ! La même année est créé à Saint-Pétersbourg le Freischütz de Webercompositeur allemand (1786-1826), qui aura comme toute la musique de BeethovenSes symphonies et son Concerto pour violon sont donnés en concert dans les années 1830. une grande influence sur toute la génération des compositeurs romantiques.
Les échanges culturels et musicaux entre la Russie et l’Europe
Malgré les guerres napoléoniennes encore proches, la langue et la culture françaises sont pratiquées par la classe cultivée : le français reste l’ancienne langue de cour et nombreux sont les compositeurs qui écrivent leur correspondance en cette langue, tel Tchaïkovski. De même, la musique française est généralement appréciéeLe compositeur Boieldieu (1775-1834) est invité de 1803 à 1811 comme directeur de la troupe d’opéra français auprès de la cour..
Le goût pour la musique italienne est aussi très vif. Les opéras de Rossini sont joués et appréciés à partir des années 1820, et une troupe italienne installée au Grand Théâtre de Saint-Pétersbourg fait découvrir l’opéra de VerdiL’opéra La Forza del Destino est commandé pour Saint-Pétersbourg et créé dans cette même ville en 1862. aux Russes dès les années 1840.
Les voyages et les échanges s’intensifient : entre 1842 et 1847, on note la venue en Russie de Liszt et de Clara et Robert Schumann. De riches mécènes russes comme les frères VielgorskiMikhaïl (1788-1855) et Matveï (1794-1866) invitent de nombreux musiciens et compositeurs dans leurs maisons de Saint-Pétersbourg et Moscou : Berlioz séjourne chez eux en 1847, lors d’un de ses voyages, avant de revenir en Russie en 1867-1868. Richard Wagner vient quant à lui diriger ses propres œuvres en 1863 et reçoit un accueil triomphal.
La naissance d’une musique spécifiquement russe
La capitale Saint-Pétersbourg est dotée dès 1783 d’un opéra, appelé Théâtre de Pierre ou Grand Théâtre. Reconstruit en 1802, 1818 et 1836, il est à chaque fois amélioré et modernisé, témoignant d’une attention soutenue du pouvoir impérial pour la musique et l’opéra en particulier. Trois autres établissements sont ensuite créés, signe d’une vie musicale qui va en s’intensifiant : en 1832, le Théâtre Alexandrinski ; en 1833, le Théâtre Mikhailovskinommé ainsi en hommage à la femme d’Alexandre II ; et en 1860, le Théâtre Mariinski. Mais c’est la création, en 1858, de la Société musicale russe, fondée par Anton Rubinsteinpianiste, compositeur et chef d’orchestre russe (1829-1894), qui marque un véritable tournant pour la musique russe. Cette société, patronnée par des membres de la famille impériale, a le dessein de « contribuer à la propagation de l’enseignement musical en Russie ». Le projet, de grande ampleur, est de passer d’un certain amateurismeBeaucoup de compositeurs russes sont des amateurs, comme ceux constituant le groupe des Cinq. à un solide professionnalisme. La création du conservatoire de Saint-Pétersbourg – avec des professeurs presque tous étrangers – en 1862 est une vraie victoire pour la Société musicale russe qui obtient en 1866 l’ouverture d’un deuxième conservatoire, cette fois à Moscou. La voie est ainsi ouverte à un enseignement de qualité et à une vraie reconnaissance du statut de musicien au sein de la société russe.
La montée du sentiment national
Les guerres napoléoniennes ont entrainé une prise de conscience nationale et marquent la naissance d’un véritable patriotisme officiel. C’est plus tardivement, sous le règne de Nicolas Ierné en 1797, règne de 1825 à 1855, que naissent Tchaïkovski et les compositeurs du groupe des Cinq. Sous ce règne très « nationaliste », la censure se développe à partir des années 1848, suite aux différentes révolutions qui ébranlent les monarchies européennes.
Alexandre II, plus libéral, abolit le servage en 1861. C’est sous son règne, marqué par un début d’industrialisation et la construction du réseau ferré, que se créent la Société musicale russe, les conservatoires de Saint-Pétersbourg et Moscou ainsi que le groupe des Cinq. Sous sa protection se mettent en place toutes les institutions qui vont permettre en Russie la professionnalisation de la musique. La musique russe gagne alors son autonomie, se démarquant de la musique occidentale par son style et ses thèmes de prédilection. Le folklore retient aussi l’attention de toute une génération de compositeurs qui collectent les différents chants populaires.
L’éveil national se traduit par la montée du courant musical justement nommé « les écoles nationales ». Ce courant se caractérise notamment par le refus des influences étrangères et la préférence de la langue et des folklores nationaux. Initiateur de l’école nationale russe, Mikhail Glinka (1804-1857) composera notamment en 1836 l’opéra Une vie pour le tsar conçu à partir d’un livret en langue russe et inspiré de la légende du héros national russe, Ivan Soussanine.
Sous Alexandre III et Nicolas II, le durcissement politique et idéologique fait place à une époque libérale. Le tsar Alexandre III est un fervent admirateur de Tchaïkovski, qu’il protège et à qui il attribue une pension annuelle. Un rapprochement diplomatique et culturel spectaculaire s’opère à la même époque avec la France républicaine, sous le nom d’amitié franco-russe.
Le groupe des Cinq
Les années 1857-1867 voient la constitution du groupe des Cinq (ou le « puissant petit groupe », expression inventée par le critique d’art Vladimir Stassof) qui s’inscrit dans un mouvement romantique nationaliste russe. Héritiers de Mikhail Glinka, quatre personnalités non professionnelles de la musique (trois militaires et un médecin-chimiste) se réunissent autour du compositeur et chef d’orchestre Mili Balakirev (1837-1910). Ces quatre musiciens amateurs ne sont autres que César Cui (1835-1918), Modeste Moussorgski (1839-1881), Alexandre Borodine (1833-1887) et Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Ce groupe se constitue à l’époque de la création de la Société musicale russe.
Balakirev met l’accent sur le matériau musical folklorique, la curiosité pour l’Orient et les traditions historiques russes. Le groupe des Cinq prône ainsi une musique spécifiquement nationale affranchie des standards occidentaux. Cette exaltation des musiques folkloriques nationales a notamment permis d’ouvrir la voie à l’exotisme et à l’orientalisme. Inspiré des contes des Mille et Une Nuits, Shéhérazade de Rimski-Korsakov témoigne de cet attrait pour l’Orient.
Tchaïkovski espère devenir en 1868 le sixième du groupe, suite à des contacts noués avec ses différents compositeurs. Cela ne se fera pas en raison de l’éloignement géographiqueLes Cinq sont à Saint-Pétersbourg, alors que Tchaïkovski enseigne à Moscou. et de la désunion qui commence à frapper le quintette. Néanmoins, des relations cordiales s’instaurent entre Tchaïkovski et les deux compositeurs Balakirev et Rimski-Korsakov.
L’essentiel
- Les œuvres de Mozart, Haydn et Beethoven se diffusent lentement en Russie, au début du XIXe siècle. Jusque vers 1850, les musiciens professionnels sont principalement d’origine étrangère.
- La création en 1858 d’une Société musicale russe puis de deux conservatoires va permettre à la Russie de former des musiciens accomplis.
- Le nationalisme qui se développe durant tout le XIXe siècle va être source d’inspiration pour de nombreux compositeurs.
- Les musiciens formant le groupe des Cinq ne sont pas réellement des professionnels de la musique.
Auteurs : Bruno Guilois et Agathe Dignac