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Opus Number Zoo
Luciano Berio
Carte d’identité de l’œuvre : Opus Number Zoo de Luciano Berio |
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Sous-titre | Jeux d’enfants |
Genre | musique de chambre |
Auteur des textes | Rhoda Levine |
Langue | anglais |
Composition | en 1951 (révision en 1970) |
Dédicace | à Aaron Copland pour son 70e anniversaire (et aussi, après réflexion, pour ses 51 ans) |
Création | en 1952 à Milan en 1970 à New York pour la version révisée |
Forme | quatre mouvements : - Barne Dance (Le Bal champêtre) - The Fawn (Le Cheval) - The Grey Mouse (La Souris grise) - Tom Cats (Les Chats) |
Instrumentation | quintette à vent : 1 flûte, 1 hautbois, 1 clarinette, 1 basson, 1 cor |
Contexte de composition
Commencé lors d’un séjour aux États-Unis puis oublié durant de nombreuses années, Opus Number Zoo est repris par Luciano Berio en 1970. Le compositeur modifie sa première version pour quatuor avec voix parlée pour en faire une version pour quintette à vent où les instrumentistes prennent tour à tour la parole.
Langage musical
Héritier des révolutions musicales du début du XXe siècle , Luciano Berio concilie dans son œuvre toutes les ressources de la modernité (atonalisme, sérialisme, usage des nouvelles technologies…) et les langages plus traditionnels liés à la tonalité tout en refusant de s’enfermer dans une école de pensée. Il explore dans les genres traditionnels (opéra, quatuor à cordes, concerto…) ou, dans des formes plus personnelles, les domaines de l’électronique (musiques pour bande magnétique avec par exemple Thema (Omaggio a Joyce)), de la voix (Sequenza III, O King), de la virtuosité instrumentale (série des Sequenze), du théâtre musical et de l’opéra (Laborintus II)… tout en restant très attaché à des styles plus populaires (Folk Songs). La curiosité tous azimuts qui caractérise les recherches musicales de Luciano Berio trouve une expression forte et singulière dans sa Sinfonia, œuvre mêlant poésie, littérature, linguistique, politique, anthropologie…
Opus Number Zoo s’inscrit dans une démarche où la voix de chaque instrumentiste – toujours théâtrale – s’intercale tour à tour dans le flux mélodique et rythmique des autres instruments. Les climats musicaux des quatre pièces sont variés et intimement liés au texte de Rhoda Levine. L’auditeur est invité dans un petit théâtre de la cruauté ! Le Bien et le Mal se nichent dans chacune des histoires où se mêlent cynisme, drôlerie, méditation, action, émotion… Les pièces 1 Barn Dance et 3 The Grey Mouse sont jouées plutôt staccato, les pièces 2 The Fawn et 4 Tom Cats plutôt legato.
Déroulé de l’œuvre
Barn Dance (Le Bal champêtre)
C’est le rythme qui anime ce mouvement. Le texte (dont le flûtiste est le récitant principal) raconte l’histoire d’un renard qui invite une poule à danser. Celle-ci, bien naïve, ne voit pas que c’est un piège qui va bientôt se refermer sur elle...
La pièce débute avec l’entrée en imitation du basson après le cor, puis du hautbois après la clarinette. La polyphoniesuperposition de plusieurs voix est riche et transparente, clarinette et hautbois animant vivement le discours, cor et basson lui apportant leur voix pondérée et goguenarde. L’action est dramatique, la musique se fait de plus en plus frénétique, les instruments se partageant équitablement l’animation rythmique en jouant notamment des sons staccato. Dans le passage central où le renard balance la poulette à gauche, à droite, un effet spatialisé est créé par la clarinette et le basson qui jouent un mouvement ascendant l’un après l’autre. Puis arrive le paroxysme où les quatre instruments jouent dans un mouvement ascendant chromatiquepar demi-ton et dissonant. La fin nous réserve une surprise un peu dérisoire : le discours se fragmente, on n’entend plus que la note tenue des cor et basson sur laquelle se superposent l’espièglerie de la clarinette et les mots That’s all folks
(« c’est tout » en français), à l’image de la fin joyeuse des dessins animés de l’époque au États-Unis (Bugs Bunny par exemple).
The Fawn (Le Cheval)
Le ton change dans cette deuxième pièce : le caractère rythmique de la première fait place ici à une calme méditation, dont le principal récitant est cette fois le hautboïste. Le cheval entend au loin des explosions de bombes et s’interroge sur la folie des hommes. Au début, le cor joue des notes dans un tempo mesuré – sa lente ascension ressemble à un point d’interrogation – et la clarinette ajoute sa voix lancinante et répétitive, en arpège. Le discours ressemble à une litanie, une note tenue à la clarinette à un cri, et la pièce au climat torpide et mystérieux s’achève sur un accord dissonant, grave et longuement tenu.
The Grey Mouse (La Souris grise)
Dans ce mouvement, le tempo rapide imprime un dynamisme frénétique et nerveux à la rythmique ternaire et aux croches régulières que se partagent la flûte et le hautbois, puis le cor et le basson. Le temps passe vite, trop vite ! C’est le message qu’une très vieille souris grise délivre à ses jeunes congénères lors du bal de la Nouvelle Année. Le texte est dans un premier temps pris en charge par le corniste d’une voix qui couine (indication In a squeaky voice). En toute discrétion (nuance pianissimo), exaltées par la fête à venir (indication staccatissimo), les souris courent et sautent dans tous les sens (figure ascendante et descendante de la clarinette, puis sauts d’octaves). Elles dansent en écoutant distraitement leur aînée (hautbois très détaché) avant de s’en moquer (onomatopées).
Tom Cats (Les Chats)
La dernière pièce débute avec un unisson (la note la tenue une mesure jouée à la clarinette, au cor et au basson dans le registre grave) qui fait aussitôt place à un accord dissonant longuement tenu : le rideau s’est levé sur un espace musical en tension. Le hautboïste prend en charge le texte. Deux chats se rencontrent dans la « jungle de la ville » (on entend d’abord la clarinette et le basson) : pas feutrés, attitude fière, content de soi. L’arrivée des chats se termine par une petite cabriole instrumentale : on imagine les chats se reniflant et s’éloignant précipitamment l’un de l’autre. Ils s’appellent Omar et Bartholomée. Ils s’observent, font les fiers-à-bras (autre cabriole à la clarinette). Omar jalouse la longue queue de Bartholomée, celui-ci jalouse les superbes moustaches d’Omar ! La musique est souple et rythmée. Un combat s’engage : les instrumentistes s’échangent rapidement les paroles du texte créant ainsi un effet spatialisé. La musique se fait de plus en plus animée jusqu’au glissando comique de la clarinette qui annonce le début du combat : chacun des chats miaule pour impressionner l’adversaire. Le stand-up synchronisé des instrumentistes, censés se lever tous ensemble en chuchotant « oh », ponctue l’action à l’image du théâtre dans le théâtre. Les triples croches jouées staccato nous font « voir » le combat qui s’achève. Finalement, c’est le statu quo. Bartholomée perd sa queue, Omar ses moustaches : rythmes boiteux, fuite des combattants (solo de flûte). Les deux matous s’éloignent tout cabossés ! Les spectateurs-instrumentistes n’en reviennent pas. Une pirouette instrumentale à la flûte, puis à la clarinette, termine la pièce.
Auteur : Frédéric Lagès