Auteur : Frédéric Lagès
Luciano Berio (1925-2003)
Biographie
Luciano Berio est un compositeur italien né en 1925 à Oneglia en Ligurie (Italie). Sa vocation musicale s’épanouit dans un contexte familial propice à l’émergence de son génie musical.
Berio s’intéresse à tous les aspects de la modernité musicale. Cultivé et curieux, imprégné de culture classique et traditionnelle et pleinement conscient des enjeux de la création contemporaine, il élabore, à l’image d’un chercheur, une œuvre riche et emblématique de la création musicale du XXesiècle.
Il se fait connaître à partir de 1945 comme compositeur d’avant-gardeL'art avant-gardiste refuse tout académisme et s’inscrit en opposition avec l’art du passé : il faut faire table rase et composer sur des bases nouvelles. C’est le credo des compositeurs de la génération de 1925, celle de Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luciano Berio, Luigi Nono…. La période est favorable à la création car des inventions majeures liées aux technologies voient le jour. Grâce aux nouvelles possibilités que l’ingénierie électronique façonne, le domaine musical se transforme : Luciano Berio et Bruno Maderna fondent le premier studio de musique électro-acoustiqueCes studios de musique expérimentale sont intimement liés à leurs débuts aux différentes radios nationales. Ainsi, en France, Pierre Schaeffer crée en 1951 le groupe de musique concrète qui deviendra quelques années après le GRM, Groupe de Recherche Musicale. en Italie. La musique se fait alors expérimentation, le savoir-faire et l’expertise technique de Berio le mènent à composer des œuvres mêlant instruments acoustiques et ingénierie électronique (Momenti, 1957), à explorer la musicalité des mots (Thema - Omaggio a Joyce, 1958, avec la collaboration de l’écrivain Umberto Eco qui s’en fait l’écho dans son livre L’Œuvre ouverte de 1962).
Son premier mariage avec la chanteuse Cathy Berberian donne naissance à des œuvres explorant le domaine de la voix (Sequenza III, Circles). Berio compose aussi pour le théâtre, en collaboration avec l’écrivain Italo Calvino (Allez-Hop) et le poète Edoardo Sanguineti (Laborintus II, œuvre apparentée au théâtre musical).
Ses Sequenze pour instrument solo, commencées en 1958 et terminées en 2003, année de sa mort, forment un vaste corpus d’œuvres destinées à mettre en valeur la virtuosité des instrumentistes et les possibilités expressives des instruments (Sequenza V pour trombone, Sequenza X pour trompette…). Berio envisage un prolongement pour certaines d’entre elles dans les œuvres intitulées Chemins. Son exploration des possibilités expressives instrumentales évolue vers une remise en cause de la notion d’orchestre et de la disposition traditionnelle des instruments dans la salle de concert (Bewegung, Continuo). Son goût pour les mathématiques s’exprime dans Points on the Curve to Find… (1974), pour piano et 20 instruments.
L’attachement de Berio à la culture classique le conduit à composer des œuvres fortement marquées par des répertoires anciens et variés : les Folk Songs (1964) sont composées à partir de mélodies puisées dans le folklore, Rendering (1989-1990) à partir de fragments thématiques que le compositeur Franz Schubert (1798–1828) voulait utiliser dans une dixième symphonie, Sinfonia pour huit voix solo et orchestre est un patchwork musical où l’on entend notamment des fragments d’œuvres du répertoire, comme le second mouvement de la Symphonie n° 2 de Gustav Mahler.
Berio s’attache aussi à arranger certaines œuvres du répertoire comme Le Combat de Tancrède et Clorinde de Claudio Monteverdi ou bien La Ritirata notturna di Madrid de Luigi Boccherini.
Parmi les nombreuses autres activités que Berio mène, signalons son passage à la tête du département de musique électroacoustique de l’IrcamInstitut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique, institution parisienne au rayonnement international qui inscrit son action dans la création musicale et la recherche scientifique à Paris de 1974 à 1980. Berio meurt à Rome le 27 mai 2003.
Style du compositeur
L’œuvre de Luciano Berio s’inscrit pleinement dans la modernité.
À l’image des révolutions opérées dans les domaines scientifiques et techniques à la même époque, l’art musical du début du XXe siècle est radicalement transformé. Les compositeurs marquants de cette époque - Schönberg, Berg, Webern, Debussy, Bartók, Stravinski - recherchent la nouveauté et leurs œuvres transforment radicalement les notions de rythme, de mélodie, d’harmonie. L’usage de la tonalité se raréfie. Héritier de ces bouleversements, Berio utilise toutes les ressources que lui fournissent ses glorieux ancêtres en explorant les potentialités de la technologie ; il utilise les langages de la tonalitéLa tonalité est un système hiérarchique de relations entre les notes. Les phrases musicales passent par un ou plusieurs états de tension (virgule) et s’achèvent sur un état de repos (point final)., de l’atonalitéL’atonalité est caractérisée par l’absence de tonalité., de la musique sérielleLa musique sérielle est une invention du compositeur Arnold Schönberg. Une succession de douze notes est définie au début de la composition : c’est la série (il y a sept notes naturelles correspondant aux touches blanches du piano par exemple et cinq notes altérées correspondant aux touches noires). Cette série subit ensuite des transformations., fait appel aux instruments, à l’orchestre, à la bande magnétique, à l’électronique. Refusant de s’enfermer dans une école de pensée, il aborde tous les genres, tous les styles. À l’instar de son ami et confrère Pierre Boulez, Luciano Berio considère que son œuvre est à venir. L’œuvre achevée est en réalité un work in progress, une étape sur le chemin de la création.
L’un des aspects marquants de son style est l’usage de l’hétérophonieUne hétérophonie est l’association d’une multiplicité de choses différentes les unes des autres, des moments autonomes de caractères distincts qui ne sont pas nécessairement liés entre eux
; dans l’hétérophonie l’insouciance est possible
- Citations d’après l’interview de Luciano Berio par Bruno Serrou le 6 février 1997 pour Resmusica.com.