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Les trompettistes, héros de La Nouvelle-Orléans
Les premiers héros du jazz sont dans leur grande majorité des trompettistes. Il faut dire que son registre aigu, son timbre brillant et sa puissance ont placé la trompette, instrument de fanfare, au cœur des petites formations néo-orléanaises. Dans le bouillonnement de musiques d’où émergea le jazz, la trompette domine, dans les orchestres de parade comme dans les salles de bal, car c’est à elle que revient le rôle de jouer la mélodie à laquelle la clarinette apporte un contre-chant soutenu par l’assise fondamentale du trombone. Aussi l’histoire a-t-elle retenu les noms d’un certain nombre de ces instrumentistes qui s’imposèrent dans les premières années du XXe siècle à La Nouvelle-Orléans, même si les traces enregistrées préservées ne rendent pas toujours justice à leur réputation : le légendaire Buddy Bolden (1877-1931), le Créole Manuel Perez (1873-1946), le puissant Freddie Keppard (1890-1933), qui dissimulait ses doigts sous un mouchoir et refusait d’être enregistré pour ne pas être imité, Bunk Johnson (1889-1949), Mutt Carey (1891-1948), Buddy Petit (1895-1931) et Kid Rena (1898-1949), qui n’entrèrent en studio qu’à un âge avancé, et le plus important de tous, King Oliver (1885-1938), qui fut l’un des premiers ambassadeurs du jazz louisianais à Chicago. Pour la plupart, ces trompettistes jouaient un dérivé de ragtime dans lequel leurs parties consistaient en broderies autour de la mélodie à l’imitation des clarinettistes.
King Oliver, le premier souverain
La plupart des maîtres néo-orléanais jouaient non de la trompette mais du cornet, à l’attaque plus directe. Ce sont les cornettistes qui s’imposent comme la voix à suivre dans les improvisations collectives, et l’on s’accorde à voir en King Oliver le premier soliste d’importance (Dippermouth Blues, 1923). Son jeu robuste, vigoureux, carré, confortablement assis sur le temps, appuyé par un son épais, lui permet de jeter les bases du jeu collectif dont il mène les évolutions avec une autorité qui impressionnera son jeune disciple, Louis Armstrong, engagé comme second cornet.
King Oliver ne sera pas sans descendance, si l’on se souvient de Tommy Ladnier (1900-1939), fortement ancré dans le blues, et de Natty Dominique (1896-1982), qui mena carrière à Chicago. Il est aussi la principale source d’inspiration directe pour une génération de musiciens blancs qui imitent les premiers jazzmen noirs, tout en cultivant les effets de burlesque et les sonorités de cirque dans une perspective pittoresque. Les cornettistes Nick La Rocca (1889-1961), membre fondateur de l’Original Dixieland Jazz Band, tout comme Muggsy Spanier (1906-1967) à la tête des Bucktown Five et Paul Mares (1900-1949) des New Orleans Rhythm Kings, qui firent carrière à Chicago, sont largement redevables aux instrumentistes noirs même si, pour des raisons qui tiennent à la ségrégation, ils les devancèrent parfois dans les studios d’enregistrement.
Premiers trompettistes « hot » à Harlem
Dès les origines du jazz, l’expressivité hot des trompettistes passe par l’emploi d’effets variés, parfois saugrenus ou burlesques (comme le trait en « éclat de rire » par lequel Freddie Keppard ouvre So This Is Venice avec le Doc Cooke’s Orchestra). Les sourdines contribuent largement à l’éventail des sonorités. Les accessoires ne manquent pas, qu’ils soient manufacturés (en métal, en caoutchouc, en bois) ou qu’ils consistent en objets détournés (bouteille, ventouse, béret), voire qu’il s’agisse simplement de placer la main devant le pavillon. À New York dans les premières années 1920, certains trompettistes comme Johnny Dunn (1897-1937) se sont fait, d’ailleurs, une spécialité de ces accessoires qui contribuent à la « sauvagerie » de la musique syncopée par les sonorités inédites qu’ils en tirent. Joe Smith (1902-1937) séduit les chanteuses de blues par son usage très sensuel de la sourdine plunger. En les couplant avec des effets gutturaux de growl, Bubber Miley (1903-1932) en tire des couleurs wa-wa rageuses, des inflexions qui vocalisent le discours et contribuent au fantastique des tableaux jungle de l’orchestre de Duke Ellington (East St. Louis Toodle-oo, 1927).
Auteur : Vincent Bessières