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Le romantisme et le fantastique
Échapper au réel
Le romantisme est un mouvement artistique européen né à la fin du XVIIIe siècle en réaction à la rationalité et l’universalisme des Lumières. Centré sur l’individu, il invite à la contemplation de la nature, mais également à une réflexion sur soi-même et à l’introspection. L’extase, l’angoisse, l’amour, la mort, la solitude, l’affirmation de soi sont quelques-uns des sentiments inhérents à ce courant. En musique, Berlioz et Liszt correspondent parfaitement à l’image de l’artiste romantique libre et provocateur qui, tout en livrant au public ses affres les plus intimes, se met en scène : au sens littéral pour Liszt, qui invente le récital moderne centré sur sa seule personne, au sens figuré pour Berlioz, qui se raconte dans ses œuvres, comme dans la Symphonie fantastique. Les influences – littéraires surtout – sont proches, les thématiques communes, le dessein similaire : bouleverser l’auditeur par une musique novatrice qui, par ses raz-de-marée sonores et émotionnels, emporte tout sur son passage.
Les romantiques trouvent dans le Moyen Âge leur source d’inspiration : les représentations médiévales fantasmées de l’enfer, comme sur le tympan de l’abbaye Sainte-Foix de Conques ou dans la Divine Comédie de Dante, les intéressent particulièrement car elles nourrissent, par leur irrationalité et leur aspect fantastique, leur combat contre la raison et la vérité. Déçus par le monde réel, ils trouvent refuge dans le surnaturel des rêves et dans l’imaginaire fantastique.
Le fantastique tel qu’on le connaît aujourd’huiLe terme « fantastique » fait son apparition au XIVe siècle. À cette époque, sa définition est assez large : on considère comme fantastique tout ce qui est créé par l’imagination et n'existe pas dans la réalité. Le terme s’applique généralement aux nombreux récits issus du folklore. est né en Allemagne au début du XIXe siècle, à l’intérieur du mouvement romantique. Il partage avec lui sa fascination pour la nature, la nuit, ses ombres et ses lumières. Caractérisé par l’irrationnel, l’imaginaire ou encore la frénésie, le mouvement foisonne de thèmes caractéristiques : malédictions, tombeaux hantés, mystères, omniprésence de la mort. La plupart des histoires se situent dans un cadre réaliste, mais l’intervention d’éléments surnaturels crée un climat de grande tension et propose des situations ambiguës, inquiétantes et énigmatiques.
Hoffmann, le grand maître du fantastique
Le fantastique apparaît tout d’abord en littérature, en particulier avec E.T.A. HoffmannErnst Theodor Hoffman, né en 1776 un auteur allemand aux talents multiples, très célèbre au XIXe siècle. Ses écrits ont une très grande influence sur les écrivains et les musiciens de son époque. Passionné par les histoires de fantômes depuis son enfance, Hoffmann parsème ses récits de magiciens, de sorcières, de revenants… Son génie consiste à mêler le grotesque et le surnaturel dans des situations qui ont l’air réelles. Ses contes, remarquables par leur « réalisme fantastique », initient un nouveau genre littéraire et ont captivé plusieurs générations d’artistes qui s’en sont largement inspirés : Offenbach pour son opéra Les Contes d’Hoffmann, Schumann pour ses Kreisleriana (pour piano, d’après un recueil de nouvelles du même nom), Delibes pour son ballet Coppélia, ou la Fille aux yeux d’émail (inspiré de la nouvelle L’Homme au sable), ou encore Tchaïkovski pour son ballet Casse-Noisette (d’après l’adaptation de Dumas du conte Casse-Noisette et le Roi des souris).
Le mythe de Faust et autres diables
Conte populaire allemand du XVIe siècle, le mythe de FaustLe mythe de Faust raconte l'histoire d'un savant qui conclut un pacte avec le Diable : voir ses désirs exaucés en échange de son âme. Faust est inspiré d’un personnage réel, Georgius Sabellicus Faustus Junior, docteur, astrologue, qui aurait étudié la magie à Cracovie. Il aurait déclaré : Je suis allé plus loin que vous ne le pensez et j’ai fait une promesse au démon avec mon propre sang, d’être sien dans l’éternité, corps et âme.
Mystérieux, soupçonné de sorcellerie, il serait mort vers 1539. se répand en Europe à travers plusieurs interprétations et adaptations, en particulier celle de Goethe (publiée en deux parties, en 1808 et 1832) qui inspirera de nombreux compositeurs : Berlioz (l’œuvre chorale La Damnation de Faust), Schumann (l’œuvre chorale Scènes de Faust), Gounod (l’opéra Faust), Liszt (la Faust-Symphonie)... Liszt s’inspire également du Faust de Nikolaus Lenau (1836) pour composer ses Méphisto-Valses.
Indépendamment du mythe de Faust, diables, démons et sorcières sont régulièrement convoqués par les compositeurs : dans le Songe d’une nuit de Sabbat extrait de la Symphonie fantastique de Berlioz, dans la Danse macabre de Saint-Saëns ou la Totentanz de Liszt, ou encore dans le poème symphonique Une nuit sur le Mont Chauve de Moussorgski.
De nouvelles sonorités
Le genre du fantastique est propice aux nouvelles sonorités afin de créer des sensations d’insécurité ou d’instabilité. Les compositeurs recherchent avant tout à produire une atmosphère, une couleur, un climat particulier. Ils multiplient les impressions confuses, les nuances subtiles, les harmonies instables, et leurs musiques recèlent ainsi une grande puissance de suggestion. Afin d’obtenir des impressions d’étrangeté, ils étendent les possibilités de l’orchestre en utilisant les tessituresétendue des notes qu’un instrument peut jouer peu communes des instruments. La multiplicité des nouveaux alliagescombinaison de timbres leur permet de laisser libre cours à leur imagination. Grâce à ces nouveaux mondes sonores, ils traduisent des situations inquiétantes et nous font croire à l’invraisemblable.
Avec son opéra Der FreischützCréé en 1821 à Berlin, c’est un immense succès., Weber inaugure un genre qui sera vivement apprécié des futures générations. Ici, toutes les saveurs du fantastique sont réunies : nuit, forêt obscure, surnaturel, pacte avec le diable... Le compositeur innove par la force de l’écriture orchestrale. Chaque instrument se voit doté d’un rôle caractéristique : le cor symbolise la forêt et les chasseurs, le basson la nuit, la petite flûte (piccolo) le monde maléfique… Dans les œuvres fantastiques, la musique n’est plus un simple décor, elle symbolise tout le drame et plonge l’auditeur dans l’action. Déclencheur des évènements, elle tient le spectateur en haleine.
Auteurs : Antoine Mignon et Jean-Marc Goossens