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Totentanz Franz Liszt
Carte d’identité de l’œuvre : Totentanz de Franz Liszt |
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Genre | musique concertante |
Composition | entre 1838 et 1849 (révision en 1853, puis en 1859) |
Dédicataire | Hans von Bülow |
Création | le 15 avril 1865 à La Haye, Pays-Bas, sous la direction de Hans von Bülow |
Forme | suite de variations sur le thème du Dies Irae |
Instrumentation | piano solo bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, cymbales, triangle, tam-tam cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Une diabolique modernité
Les premières esquisses de cette Danse macabre (Totentanz) sont contemporaines des deux célèbres Concertos pour piano et orchestre de Liszt et datent donc de sa période virtuose, avant l’arrivée à Weimar. Mais Liszt ne s’attèle véritablement à l’œuvre qu’une dizaine d’années plus tard. Terminée en 1849, la partition se voit reprise en 1853 puis en 1859. Elle n’est finalement créée qu’en 1865 par son dédicataire et gendre du compositeur, Hans von Bülow, à La Haye, sous la direction de Johannes Verhulst.
Cette maturation lente explique l’extrême modernité pianistique et sonore de la partition. Rarement Liszt n’a requis une technique pianistique aussi démoniaqueToutes les difficultés sont représentées : octaves, sauts, notes et accords répétés, glissando, etc., à l’image du sujet de l’œuvre. La recherche percussive, bruitiste par moment, anticipe ce que Bartók et Prokofiev réclameront au piano un siècle plus tard.
L’orchestre rivalise avec le piano dans l’écriture rythmique motorique, agressive, dans les combinaisons de timbres originales et sombres, et les dissonances ostentatoires – à l’image du piano qui, dès l’entrée, propose les intervalles dissonants de secondes et quartes augmentéesvoir la partition, ce dernier intervalle étant surnommé diabolus in musica au Moyen Âge. Tout cela contribue, comme dans l’Inferno de la Dante-Symphonie, à une peinture sonore descriptive superbement moderne et agressive, diablement efficace ; on voit littéralement danser la mort.
Dies Irae
Si la mort inspire généralement les romantiques, c’est particulièrement le cas de Liszt qui lui consacre plusieurs partitionsFunérailles, La Lugubre Gondole, etc.. Cet attachement au sujet doit être mis en rapport avec la redécouverte, à cette époque, du Moyen Âge et de la musique grégorienne, qui va intéresser Liszt. Sous-titrée Variations sur le « Dies Irae » pour piano et orchestre, cette Danse macabre est une série de variations sur la séquence grégorienne Dies Irae, chantée le jour de la commémoration des fidèles défuntsle 2 novembre ainsi qu’aux messes pour les morts – le requiem –, et que l’on retrouve dès le début de la Totentanz aux clarinettes, bassons, trombones et cordes graves :
Ce motif du Dies Irae a été de très nombreuses fois utilisé au cours des XIXe et XXe siècles, et notamment par Berlioz dans sa Nuit de Sabbat extraite de la Symphonie fantastique, qui a peut-être influencé Liszt. Concernant les autres éventuelles influences, il s’agit surtout d’œuvres picturales, parmi les nombreuses à représenter des danses macabres : les gravures sur bois de HolbeinIl exécuta vers 1526 une suite de quarante-et-une gravures sur bois représentant la danse macabre, intitulée Les Simulacres et historiées faces de la mort sont régulièrement citées, ainsi que Le Triomphe de la mort, fresque du Campo Santo à Pise, tout comme Il Trionfo della morte d’Andrea Orcagna.
Le motif du Dies Irae subit six variations enchaînées et retrouve ainsi la répartition symphonique classique en « mouvements » contrastés : la première séquence sert d’introduction, de présentation du thème grégorien ; les variations I et II forment un premier mouvement ; la variation III (molto vivace), un premier scherzo ; la variation IV (lento), le mouvement lent ; la variation V, un second scherzo ; la variation VI, le finale en forme de péroraison, époustouflante de virtuosité pianistique et orchestrale, véritable déluge de sons, le chaos.
Auteur : Antoine Mignon