Jason Moran (1975-)
Aux qualités du pianiste combinant stride, improvisation libre, élans free (collaboration avec Sam Rivers), blues rural, funk ou langage des musiques classique (Ravel, Brahms) et moderne (Nancarrow), s’ajoutent celles d’un compositeur et arrangeur qui conçoit son répertoire autant sous l’angle de la déconstruction des standards que par une approche s’inspirant de peintres modernes – tels Jean-Michel Basquiat et Robert Rauschenberg qu’il apprécie particulièrement – ou encore de discours vocaux échantillonnés dont il décalque le débit mélodico-rythmique. Expérimentateur en constant renouvellement, Jason Moran est unanimement apprécié parce qu’il élabore une œuvre singulière, innovante et imaginative dont la démarche prolonge l’esprit d’ouverture, de recherches et de raffinements complexes qui caractérisent la tradition jazz.
Un enseignement solide
Né le 21 janvier 1975 à Houston (États-Unis), Jason Moran grandit dans une famille cultivée. Même si ses parents ne pratiquent pas la musique, ils transmettent leurs goûts pour la peinture et l’art sonore à leurs deux fils. Après sept ans de piano classique – et une préadolescence taquinée par le son du rap –, Jason Moran se dirige vers le jazz suite à l’audition d’un disque de Thelonious Monk, un musicien qui marque jusqu’à ce jour ses orientations esthétiques. Il prolonge son éducation musicale à la High School for the Performing and Visual Arts, le fameux lycée de Houston. En 1993, son apprentissage fait un bond à la Manhattan School of Music de New York où il reçoit les leçons de Jaki Byard. Ce dernier inculque à Moran une discipline fondée sur la connaissance approfondie des styles et des grands maîtres de toute l’histoire du jazz, d’Earl Hines à Cecil Taylor. Cet enseignement consolide l’ancrage délibéré de Moran dans l’idiome jazz, en même temps qu’il éclaire son goût pour des compositeurs moins en vue au XXIe siècle, tels Andrew Hill et Muhal Richard Abrams – dont il a aussi reçu les conseils en 1998 –, ou encore Herbie Nichols, Erroll Garner ou Fats Waller.
D’abord sideman, puis en trio
Après des débuts comme sideman en 1996 au côté de David Murray, Moran est engagé par Greg Osby l’année suivante pour une tournée en Europe, sur les recommandations du batteur Eric Harland. L’altiste devient une sorte de mentor pour Moran. Ce dernier inaugure sa discographie en participant au huitième album d’Osby, Further Ado. Grâce à cet enregistrement réalisé pour Blue Note, Moran est engagé par le label. Il sort un premier disque sous son nom en 1999, Soudtrack for Human Motion en quartet avec le vibraphoniste Stefon Harris. Les critiques sont d’emblée élogieuses, la presse spécialisée américaine désignant même cette réalisation « meilleur album de l’année ». Moran devient dès lors un sideman très demandé, se retrouvant ainsi aux côtés de Joe Lovano, Cassandra Wilson, Steve Coleman, Lee Konitz...
En 2000 sort son premier disque en trio, Facing Left. Caractérisé par une empathie profonde et intense entre les musiciens, son Bandwagon (désignation qu’il préfère à « trio »), composé du bassiste électrique Tarus Mateen et du batteur Nasheet Waits, développe une approche rythmique souple et complexe, qui doit autant aux avancées du second quintet de Miles Davis qu’aux largesses rythmiques du free. Soutenu par ces partenaires fidèles (l’album Ten sorti en 2010 marque les dix années d’existence du Bandwagon), Moran se forge un style personnel dont les éléments, pour partie indéniablement contemporains, bousculent autant les fondamentaux du jazz qu’ils en procèdent. Car Moran a écouté et aime à reprendre les chansons de Björk ou à adapter les beats du hip-hop. Dans « Planet Rock » d’Afrika Bambaataa, il réalise par exemple une synthèse très actuelle du vocabulaire jazz avec la culture rythmique saccadée et angulaire du hip-hop.
De fructueuses collaborations
Après un album solo (Modernistic, 2002) suivi d’un autre, live, en trio (The Bandwagon, 2003), il rend hommage au blues avec Same Mother en 2005, invitant pour l’occasion le guitariste Marvin Sewell. L’année suivante, Artist in Residence présente différents morceaux composés à l’occasion de projets scéniques multimédias intégrant danse, photographie, interaction avec des samplers…, tels ceux autour de l’orchestre de Monk (In My Mind en 2006) ou de la musique de Fats Waller (2011). Parmi les collaborations les plus fructueuses, outre le furtif remplacement de Danilo Perez dans le quartet de Wayne Shorter en mai 2005, et en sus de celles au sein de l’Overtone Quartet de Dave Holland à partir de 2009 (avec Chris Potter et Eric Harland), ou du formidable mais éphémère trio 3 in 1 du batteur Paul Motian (cf. Lost in a Dream encore avec Chris Potter), c’est son travail avec Charles Lloyd qui est le plus marquant, que ce soit dans le New Quartet du saxophoniste depuis avril 2007, ou simplement en duo (Hagar’s Song, 2013).
Auteur : Ludovic Florin
(mise à jour : janvier 2013)