Page découverte
Les Noces de Figaro Wolfgang Amadeus Mozart 1. Genèse de l’œuvre
Carte d’identité de l’œuvre : Les Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart |
|
Genre | opéra : opera buffa |
Librettiste | Lorenzo da Ponte, d’après la pièce de Beaumarchais La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro |
Langue du livret | italien |
Composition | en 1785 à Vienne |
Création | le 1er mai 1786 au Burgtheater, à Vienne |
Forme | opéra en une ouverture et quatre actes |
Instrumentation | bois : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 2 cors, 2 trompettes percussions : timbales cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses continuo des récitatifs : clavecin |
Le choix du livret
Au printemps 1785, Mozart songe à écrire un opéra, mais les différents sujets qu’il pourrait illustrer musicalement ne l’inspirent pas. Il a cependant commencé plusieurs ébauches, toutes abandonnées après les premiers brouillons : L’Oca del Cairo, Lo Sposo deluso et Il Regno delle Amazoni. Il va finalement adapter en musique une comédie française, dont les paroles seront chantées en italien : Les Noces de Figaro (Le Nozze di Figaro), un opera buffaopéra traitant d'un sujet comique.
Un opéra écrit en secret
La pièce de Beaumarchais dont s’inspire Mozart, La Folle journée ou Le Mariage de Figaro, a été donnée à Paris le 27 avril 1784, après trois années de combats et de controverses pour sa représentation. L’auteur est jeté en prison, alors que sa pièce triomphe ! Dès l’édition de la pièce, l’année suivante - 1785 -, pas moins de douze traductions allemandes paraissent, preuve d’un succès européen foudroyant. Wolfgang lui-même en possède un exemplaire dans sa bibliothèque, et il demande à son ami Lorenzo da Ponte1749-1838, poète et auteur de livrets d’opéras d’adapter le texte de la pièce de théâtre à une mise en musique. Mais l’empereur Joseph II, frère de la reine Marie-Antoinette, a interdit la représentation de cette pièce, qui a causé tant de troubles en France : qu’importe, Mozart et son ami da Ponte se mettent fébrilement au travail, tant leur enthousiasmeJe me mis à l’ouvrage et au fur et à mesure que j’écrivais les paroles, il en faisait la musique. En six semaines, tout était terminé.
Lorenzo da Ponte, Mémoires est grand. L’écriture du texte et de la musique a lieu en secret durant les mois de l’été 1785, à Vienne, alors que le calme de la capitale est propice à la réflexion pour les deux artistes. Le compositeur et le librettiste, tels de vrais conspirateurs, ont même prévu, en cas de refus réitéré de l’empereur, de faire représenter – grâce à des amis complices – l’opéra interdit à Paris ou à Londres. L’œuvre est presque achevée au début de l’automne : les paroles sont rédigées, alors que Mozart remanie encore sa partition.
Vers une première représentation
Lorenzo da Ponte choisit alors ce moment pour présenter avec adresse l’opéra à l’empereur Joseph II : le librettiste a, dit-il, supprimé et abrégé
les passages les plus répréhensibles de la pièce de Beaumarchais, et il présente la musique de Mozart comme étant d’une beauté merveilleuse
. L’empereur cède à ses remarques et déclare à da Ponte : Bien : puisqu’il en est ainsi, je me fie à votre goût quant à la musique et à votre prudence quant aux mœurs. Faites donner la partition au copiste.
Les deux amis n’ont donc plus besoin de comploter pour une représentation de leur opéra à l’étranger. Mais le temps presse pour Mozart, qui a été malade et a pris du retard. Il travaille ainsi d’arrache-pied durant tout le mois d’octobre. Les premières répétitions débutent vers mars 1786 avec les meilleurs chanteurs italiensFrancesco Benucci (Figaro), Stephano Mandini (le comte), Luisa Laschi (la comtesse) présents à Vienne, et sous la direction de Wolfgang en personne.
Une première mouvementée
La première de l’opéra a lieu le 1er mai 1786. Mais cela n’est pas du goût des autres compositeurs, dont les opéras sont déjà écrits, et prêts à être représentés : SalieriAntonio Salieri, compositeur italien (1750-1828), compositeur de la cour et directeur de l'opéra italien et RighiniVincenzo Righini, chanteur et compositeur (1756-1812). Les deux concurrents de Mozart vont jusqu’à semer le trouble parmi les chanteurs. Mais Wolfgang s’entête, allant même jusqu’à jurer qu’il jetterait au feu la partition de son opéra, s’il ne passait pas le premier
. L’affaire se termine par l’intervention personnelle de l’empereur, qui ordonne que l’opéra de Mozart soit représenté.
Les premières répétitions avec l’orchestre peuvent commencer. Un des chanteurs présents, Michael O’Kelly, nous raconte la scène avec force détails : Mozart est sur la scène avec sa pelisse cramoisie et son chapeau de haute forme à galons d’or, donnant la mesure à l’orchestre
. Il fait répéter les airs de ses chanteurs, et en particulier « Non più andrai, farfallone amoroso » par Benucci, dans le rôle de Figaro. Le passage est chanté avec une telle conviction, la musique de Mozart si expressive que les musiciens de l’orchestre s’exclament Bravo ! Bravo ! Maestro ! Viva, viva, viva grande Mozart !
, ne cessant d’applaudir, en frappant de leurs archets sur leurs pupitres
.
Mais les obstacles ne manquent pas : le comte Rosenberg défend à Mozart d’insérer dans son opéra la musique de danse prévue à la fin de l’acte III, sous le prétexte que les opéras-bouffes ne doivent pas en comporter. Mozart obtempère, mais conserve malicieusement la chorégraphie, muette, sans musique. L’empereur, présent à une des dernières répétitions, assiste à cette curieuse scène, aux gestes sans musique : furieux de l’interdiction faite à Wolfgang, il demande immédiatement le rétablissement de la musique. La protection de l’empereur n’empêche cependant pas certains chanteurs, le jour de la première, de mal jouer, afin de saboter la pièce…
Cette première représentation est malgré tout un très grand succès, selon le chanteur O’Kelly : tous les numéros furent bissésjoués deux fois, ce qui fit durer la représentation presque aussi longtemps que celle de deux opéras, et engager l’empereur à décider qu’à la seconde représentation, aucun morceau ne serait répété
. L’opéra ne sera – malgré son accueil très enthousiaste – représenté que neuf fois seulement à Vienne, puis repris à Prague fin 1786, où il connaîtra un succès plus conséquent : joué tout l’hiver, l’opéra donne lieu à toutes sortes de transcriptionsadaptations pour piano, instruments à vent… qui témoignent de sa popularité.
Une histoire révolutionnaire
Le livret de da Ponte suit l’intrigue de la pièce de théâtre de Beaumarchais, en résumant, mais en conservant aussi l’essentiel : il s’agit avant tout pour Mozart et son librettiste d’avoir une action en musique, efficace.
Figaro et Suzanne, deux domestiques, doivent se marier, mais le comte, leur employeur, veut séduire Suzanne : il fera tout pour annuler leurs noces. Chérubin, page au service du comte, ne cesse de perturber les projets de ce dernier. Le valet Figaro reste le véritable personnage principal de cette œuvre : c’est lui qui mène l’action pour son profit et pour celui de sa fiancée, alors que le noble est réduit au rang de personnage secondaire, paresseux et nuisible. S’il est vrai que Figaro ne chante pas dans l’opéra les fameuses paroles - scandaleuses à l’époque - adressées au comte par Beaumarchais (Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus
), il n’en chante pas moins des paroles offensives : S’il veut danser, monsieur le petit comte, c’est moi qui jouerai de la guitare. S’il veut se mettre à mon école, c’est la cabriole que je lui apprendrai
. Mozart se reconnaît sans doute pour une bonne part dans ce personnage, lui qui a tant souffert d’être traité comme un domestique chez son ancien employeur, le prince-archevêque Colloredo. N’écrivait-il pas à son père, en 1781, à propos de ses démêlés avec son employeur, je ne savais pas que je n’étais qu’un valet de chambre et c’est ce qui m’a perdu
, ainsi que je ne suis pas comte, mais j’ai peut-être plus d’honneur au cœur que bien des comtes
?
Lorenzo da Ponte conserve l’essentiel du texte de Beaumarchais : le texte d’origine est principalement récité, dans ce qu’on appelle justement des récitatifs, alors que les airs des chanteurs sont généralement des ajouts prévus par da Ponte et Mozart, participant à la construction de la psychologie des personnages. La pièce de théâtre d’origine passe de cinq à quatre actes, et les personnages de seize à onze.
Auteur : Bruno Guilois