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Jules César en Égypte Georg Friedrich Haendel
Carte d’identité de l’œuvre : Jules César en Égypte (Giulio Cesare in Egitto) de Georg Friedrich Haendel |
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Genre | opéra : opera seria |
Librettiste | Nicola Francesco Haym, d’après G.F. Bussani |
Langue du livret | italien |
Composition | en 1723 à Londres |
Création | le 20 février 1724 au King’s Theatre de Haymarket à Londres |
Forme | opéra en une ouverture et 3 actes |
Instrumentation | bois : 1 flûte, 2 hautbois cuivres : 4 cors cordes : violons 1 et 2, altos et basse continue |
Contexte de composition et de création
Jules César est le cinquième opéraPour la Royal Academy, il a déjà composé Radamisto (1720), Floridante (1721), Ottone (1723) et Flavio (1723). En 1721, il a également composé le troisième acte de Muzio Scevola. qu’Haendel compose pour la Royal Academy of Music. Fondée à Londres en 1720, cette société, dont le principal mécène est le roi George Ier, est financée par l’aristocratie et la haute bourgeoisie anglaise. Elle a été spécifiquement créée pour monter des opéras italiens « made in England », en dépit des défenseurs d’une musique purement anglaise qui s’opposent à l’invasion de la musique italienne depuis le début du XVIIIe siècle. Alors que les passions se déchaînent autour de l’opéra, il existe une redoutable concurrence entre les compagniesLa Royal Academy of Music partage d’ailleurs le King’s Haymarket Theatre (où sont créés ses opéras) avec une troupe rivale., mais aussi entre les compositeursMême si Haendel est le compositeur principal de la Royal Academy, celle-ci engage deux autres compositeurs qui deviennent bientôt ses concurrents : Ariosti et Bononcini.. Quant aux chanteurs, ils subjuguent le public mais épuisent les compositeurs par leurs querelles et leurs caprices, à l’image du célèbre castratSuite à une opération pratiquée avant la puberté, les castrats sont des chanteurs ayant conservé leur timbre de soprano ou d’alto d’enfant mais qu’ils emploient avec la puissance et le souffle d’un adulte. Francesco Bernardi Senesino et de la soprano Francesca Cuzzoni, créateurs des rôle de Jules César et de Cléopâtre.
Jules César est créé le 20 février 1724 au King’s Theatre de Haymarket. Il reçoit un accueil enthousiaste du public et sera joué plus de quarante fois au cours des dix années suivantes, principalement à Londres mais aussi en France, en Allemagne et en Autriche. Pour Haendel, c’est une période faste de sa carrière londonienne qui commence enfin, une dizaine d’années après le succès de Rinaldo (1711), son premier opéra italien pour la scène anglaise.
Les personnages et leur voix
Les Romains
- Jules César, empereur romain, castrat alto
- Cornélie, veuve de Pompée, alto
- Sextus, fils de Pompée, soprano
- Curius, tribun militaire, aide de camp de César, basse
Les Égyptiens
- Cléopâtre, reine d’Égypte, soprano
- Ptolémée, frère de Cléopâtre, roi d’Égypte, castrat alto
- Achille, général des armées et conseiller de Ptolémée, basse
- Nirenus, confident de Cléopâtre, castrat alto
L’argument
L’une des raisons du succès de l’opéra est la richesse du livret écrit par Nicola Francesco Haymlibrettiste mais aussi violoncelliste et compositeur. Il s’inspire d’un épisode réel de la vie de Jules César et Cléopâtre, revisité pour apporter une intensité dramatique et aboutir à un dénouement heureux. Afin d’apprécier la qualité de l’intrigue, Haendel avait demandé que l’opéra se déroule dans une salle complètement éclairée. Le public, disposant d’un livret, pouvait ainsi suivre l’histoire, malgré sa complexité et la langue italienne.
L’argument principal s’articule autour des luttes de pouvoir émaillées de trahison. À Rome, Jules César et Pompée s’affrontent. Vaincu, Pompée cherche refuge à Alexandrie auprès de Ptolémée, qui dispute à sa sœur Cléopâtre le trône d’Égypte. Tandis que César poursuit Pompée et débarque à sa suite en Égypte, Ptolémée trahit Pompée et le tue, pensant obtenir ainsi le soutien de César contre Cléopâtre.
L’opéra débute alors que César arrive en Égypte. La femme de Pompée, Cornélie, accompagnée de son fils Sextus, vient à sa rencontre et plaide la cause de son époux. Mais lorsqu’Achille, général des armées de Ptolémée, lui présente la tête de Pompée, César s’indigne : bien qu’étant son ennemi, il estimait Pompée et s’apprêtait à lui accorder sa grâce. Par cet acte, Ptolémée s’est attiré la colère de tous : de César mais aussi de Cornélie et Sextus qui souhaitent obtenir vengeance. De son côté, Cléopâtre voit dans cette situation l’opportunité d’accéder au trône d’Égypte et, sous une fausse identité (celle d’une suivante appelée Lydie), elle entreprend de charmer César afin d’obtenir son aide.
En parallèle à l’intrigue politique s’ajoute une intrigue amoureuse. Cornélie, captive de Ptolémée, est courtisée par Achille puis par Ptolémée lui-même. Le roi d’Égypte n’hésite pas à trahir son général en lui laissant faussement miroiter la main de Cornélie contre la tête de César. Mais Achille, découvrant la fourberie de son maître, finit par se retourner contre lui. Repoussant les avances de ses deux ennemis, Cornélie garde espoir. Quant à Cléopâtre, elle réalise son amour pour César et lui avoue sa véritable identité.
À l’issu d’un combat entre les deux camps, César est déclaré mort et Cléopâtre capturée par Ptolémée qui savoure sa victoire sur sa sœur. Mais César a survécu : il retrouve sur le rivage Sextus ainsi qu’Achille, agonisant, qui s’était rallié aux forces de Cléopâtre. Achille confie aux Romains le sceau qui leur permettra de s’assurer le soutien de ses soldats égyptiens. César parvient alors à libérer Cléopâtre et Cornélie, et Sextus tue Ptolémée.
L’opéra se termine brillamment : Cléopâtre est sacrée reine d’Égypte au cours d’une cérémonie fastueuse, suivie d’un duo d’amour entre elle et César, et d’un heureux chœur des Égyptiens.
Des rôles conventionnels mais complexes
Jules César respecte les codes typiques de l’opera seria : un sujet inspiré de l’Antiquité, trois actes, peu de personnagesen comparaison avec l’opéra baroque du XVIIe siècle, une fin heureuse et morale. Mais surtout, il suit la stricte alternance entre récitatifsLe récitatif est un passage de forme libre, dans lequel la voix chante en déclamant le texte, en suivant les inflexions et le débit de la parole. Accompagné seulement du continuo ou de l’orchestre qui ponctue simplement les phrases, c’est un épisode narratif qui permet à l’action d’avancer. et arias da capoUne aria da capo est un air souvent virtuose qui exprime les sentiments ou les idées, et dans lequel deux parties contrastées se succèdent, la première étant ensuite reprise (d’où « da capo » qui signifie « recommencer du début »)., ponctuée de quelques duos et chœurs. Les types de voix sont également soumis aux codes de l’opera seria : les principaux rôles masculins sont tenus par des castrats, et le rôle du jeune Sextus est interprété par une femme soprano. De nos jours, la distribution vocale est adaptée : les rôles anciennement dévolus aux castrats sont alors tenus le plus souvent par des contreténors.
Tout en restant dans cette veine de l’opéra baroque, Haendel apporte une continuité dramatique. Le choix de prendre appui sur une histoire vraie dépasse le besoin de répondre au goût de l’époque pour les sujets inspirés de l’Antiquité. Cela apporte une crédibilité à l’intrigue et aux personnages. De plus, les arias s’enchaînent tout en présentant des affects multiples pour un même personnage, ce qui met en valeur la complexité de leurs sentiments et maintient une cohérence psychologique.
Focus sur ...
L’Ouverture
Une ouverture est une pièce instrumentale composée pour introduire un concert, une œuvre vocale ou théâtrale... Ici, Haendel s’inspire du modèle de l’ouverture à la française, dont l’une des principales particularités est la forme générale en deux parties : lent - vifSouvent, une nouvelle partie lente, ou simplement la reprise de la première, vient s’ajouter à la suite de la section rapide.. C’est Jean-Baptiste Lully, compositeur à la cour de Louis XIV, qui fixe la forme des ouvertures dans ses ballets et tragédies lyriques, d’où le terme « à la française ». Cette forme devient très rapidement un modèle dans l’Europe entière.
L’orchestre est composé des cordes, des hautbois et des instruments constituant la basse continueDans un opéra, on utilise souvent le clavecin et/ou le luth ou le théorbe, une viole de gambe et/ou un violoncelle et/ou un basson. et pouvant varier selon les différentes interprétations. Les cors et la flûte ne sont pas employés dans cette ouverture mais sont utilisés plus tard dans des scènes bien précises, afin d’apporter une atmosphère particulièrela flûte pour la douceur, le cors pour souligner le caractère héroïque ou évoquer la chasse correspondant au sens du texte ou à l’action en cours. Dans l’Ouverture, les instruments sont choisis en fonction plutôt de leur tessiturehauteur, plus ou moins aiguë ou grave que de leur timbrecouleur sonore propre à chaque instrument. Jouée à l’unisson par les hautbois et la plus grande partie des violons, la voix supérieure domine les voix intermédiaires (jouées par les violons 3 et altos) et la voix de basse.
La première partie, lente, possède les caractéristiques des ouvertures à la française : la répétition de rythmes pointés qui confère un caractère solennel et majestueux, des groupes de doubles et triples croches créant des effets de « fusées », ainsi que de nombreux trillesornement consistant à faire alterner très rapidement deux notes proches, typiques du style musical baroque.
La partie vive est une fugue : différents groupes d’instruments entrent successivement sur une même mélodie (appelée le sujet). Les trois entrées s’effectuent de l’aigu vers le grave : d’abord les voix supérieures (hautbois, violons 1 et 2), puis intermédiaires (violons 3 et altos) et enfin les basses (auxquelles se joignent les altos).
La partie vive enchaîne avec un menuetdanse à trois temps qui introduit l’action par l’entrée des cors : c’est l’annonce de l’arrivée d’un César victorieux et acclamé par le chœur.
Récitatif et air « Va tacito e nascosto » (Acte 1 scène 9)
À la fin du premier acte, Ptolémée reçoit César dans une antichambre de son palais. Durant cette rencontre, personne ne laisse entrevoir sa colère (colère de César envers l’assassin de Pompée, colère de Ptolémée face au mécontentement du Romain) et tout se dit à demi-mot. La scène est composée d’un récitatif réunissant César, Ptolémée et Achille, suivi d’une aria de César.
Selon les codes de l’opera seria, le récitatif est le moment où l’action avance : ici, il expose la tension sous-jacente de cette conversation « diplomatique » ponctuée d’apartés révélant la pensée réelle de chacun. Dans un récitatif, le chant imite et amplifie les inflections naturelles de la voix parlée. La musique colle au texte et aux accents toniques de la langue. Pas de grande mélodie ou de vocalises, mais un texte pour lequel l’interprète est d’abord un acteur. L’accompagnement est une basse qui soutient très légèrement la mélodie, sans rythme précis, laissant la plus grande liberté possible au chanteur.
Voici le texte du récitatif et sa traduction :
Ptolémée
Cesare, alla tua destra stende fasci di scettri generosa la sorte.
César
Tolomeo, a tante grazie io non so dir, se maggior lume apporti, mentre l’uscio del giorno egli diserra, il sole in cielo o Tolomeo qui in terra.
Ma sappi, ch’ogni mal opra ogni gran lume oscura.
Achille (à Ptolémée)
Sino al Real aspetto egli t’offende ?
Ptolémée (à part)
Temerario Latin !
César (à part)
So che m’intende.
Ptolémée
Alle stanze Reali questi che miri t’apriran le porte, e a te guida saranno.
(à part) Empio, tu pur venisti in braccio a morte.
César (à part)
Scorgo in quel volto un simulato inganno.
Ptolémée
César, le sort, dans sa générosité, met dans ta main tout un faisceau de sceptres.
César
Ptolémée, devant tant de mérites, je ne saurais dire qui apporte le plus de lumière, du soleil dans le ciel, lorsqu’il ouvre les portes du jour, ou de Ptolémée sur terre.
Mais sache que toute mauvaise action obscurcit la lumière la plus éclatante.
Achille (à Ptolémée)
Va-t-il t’outrager jusque dans ton image royale ?
Ptolémée (à part)
Impudent Latin !
César (à part)
Je sais qu’il me comprend.
Ptolémée
Ces gens que tu vois t’ouvriront les portes des appartements royaux et te serviront de guides.
(à part) Infâme, tu es venu, toi aussi, te jeter dans les bras de la mort.
César (à part)
Ce visage me donne l’impression qu’il se trame quelque trahison.
Contrairement au récitatif dévolu à l’action, l’air qui suit est au service de l’expression et développe l’émotion de César : le Romain défie sourdement et longuement Ptolémée dans une métaphore du chasseur qui agit « silencieux et caché » (« tacito e nascosto ») et évoque la « fourberie » de « celui qui est disposé à mal agir ». Afin de traduire les sentiments du personnage, la mélodie est beaucoup plus lyrique et ornée que le chant déclamé du récitatif. L’air est alors souvent l’occasion pour le chanteur de briller en faisant étalage de sa virtuosité. Il permet à l’interprète de s’illustrer par son art de l’ornementationL’art de l’ornementation consiste à ajouter à la mélodie du compositeur des notes rapides que l’on appelle broderie, tremblement, mordant, appogiature ou encore gruppetto, dans le double but d’en augmenter l’expressivité et de démontrer ses aptitudes vocales..
La forme de l’air est celle de l’aria da capo, en trois parties ABA’. C’est la forme traditionnelle des airs d’opera seria à cette époque. Les parties A et B présentent deux idées contrastées et s’opposent dans leur caractère. Dans la partie A, le cor intervient dès les premières mesures de l’introduction instrumentale. Il évoque la chasse et annonce la teneur des paroles de César : « Quand il veut saisir sa proie, le rusé chasseur s’avance silencieux et caché ». Un duo s’installe entre le cor et le chanteur : tantôt ils se répondent, tantôt ils se relaient ou même chantent ensemble. La partie B, plus courte, se démarque par l’absence du cor (sur les paroles « celui qui est disposé à mal agir ne désire pas que l’on découvre la fourberie de son cœur »). La partie A’ est une reprise de la partie A, avec des ornementations et une cadence virtuose à la fin de l’air.
Suite à cette scène, Ptolémée, défié et humilié par César, demandera à Achille de l’assassiner.
Auteure : Aurélie Loyer