César Franck (1822-1890)
Des débuts liégeois prometteurs
César Franck est né à Liège (Belgique) le 10 décembre 1822. Il y débute ses études musicales en 1831 au Conservatoire royal en intégrant les classes de solfège, de piano, d’harmonie et de contrepoint. Dès la première année, il fait preuve de bonnes dispositions pour la musique comme en témoigne l’appréciation du répétiteur de piano : Va fort bien et promet beaucoup
, tout en tempérant son propos par une surabondance de chaleur qui dégénère en barbouillis
[1]. En effet, Franck fait très tôt preuve d’un caractère passionné qui sera l’une des caractéristiques de l’ensemble de son œuvre.
Sous la houlette du père, Nicolas-Joseph, qualifié de « Thénardier »en référence au personnage des Misérables de Victor Hugo, un aubergiste qui exploite la petite Cosette par Antonin d’Indypère du compositeur Vincent d’Indy qui sera élève de Franck[2], la vie de la famille Franck s’organise autour de l’éducation musicale de l’enfant prodige et de son frère Joseph, violoniste. Fort des succès belges que rencontre César, le père décide que l’avenir de son fils se fera à Paris. Le Paris de Louis-Philipperoi des Français, de 1830 à 1848 est une ville où l’art foisonne : notons que c’est sous le gouvernement de Louis-Philippe, le roi bourgeois qui a pour sceptre un parapluieLouis-Philippe a beaucoup contribué à populariser le parapluie en France. Il sortait volontiers à pied, en chapeau et pantalon, parapluie sous le bras, se donnant l’image d’un « roi citoyen »., que Berlioz, Liszt et Chopin ont pu accomplir leur carrière, que le grand opéra est né, que le concert est devenu un fait de société
[3].
Paris, ville des artistes de la monarchie de Juillet (1830-1848)
En 1835, César Franck arrive donc à Paris pour y poursuivre sa formation. Le jeune garçon n’a pas encore 13 ans. Il suit d’abord des cours particuliers auprès des grands maîtres comme Antoine Reicha qui fut le professeur de composition de Berlioz et Liszt, avant d’intégrer le Conservatoire de Paris en 1837. Entre 1838 et 1841, il obtient les prix de piano (« Premier premier prix », distinction créée pour l’occasion), de contrepoint et d’orgue. À moins de 20 ans, sa formation est accomplie.
Destinés à une carrière de virtuose par leur père, César et son frère Joseph multiplient les concerts parallèlement à leurs études au conservatoire. À ces occasions, César [fixe] sur le papier ses musiques d’estrade
[4], caractérisées par les traits virtuoses destinés à éblouir l’auditoire. Ces véritables « tournoi[s] de virtuoses »[5] le font entrer dans la vie musicale, développant ses qualités d’interprète et de compositeur. C’est aussi l’occasion de se lier d’amitié avec les grands de cette époque comme son aîné Franz Liszt (1811-1886) qu’il rencontre au cours d’un de ces concerts, le 23 avril 1837, et qui restera un modèle tout au long de sa vie.
Langage musical
En 1842, la publication de ses Trois Trios concertants pour piano, violon et violoncelle opus 1, dédiés à l’empereur Léopold Ier, marque une nouvelle ère dans la vie de César Franck. Ces trois œuvres, qu’il a désignées comme son premier opus, sont considéré[e]s comme la souche génétique de l’art franckien
[6]. Les nombreux signataires de la souscription ayant permis leur publication témoignent de l’adoubement de ses pairs : parmi les 173 noms, on retrouve Liszt, Meyerbeer, Chopin, Donizetti. À seulement 20 ans, Franck s’est déjà fait une place de choix dans le microcosme des compositeurs de son temps.
Le style du compositeur se dessine : la fonction dialectique des thèmes, l’antithèse des tonalités et, par-dessus tout, l’esprit du contrepoint qui domine l’œuvre
[7]. L’une des spécificités du Trio n° 1 est la forme cyclique qui consiste à générer et organiser les mouvements de l’œuvre à partir d’un même matériau thématique. Cette conception narrative de la composition comme « drame muet »[8], architecture très travaillée à laquelle la forme cyclique donne son unité, restera l’une des signatures du style de Franck et se retrouvera notamment en 1886 dans la Sonate pour violon et piano.
Franck organiste
L’omniprésence paternelle dans le déroulé de sa carrière engage Franck à prendre ses distances avec le foyer familial. À partir de 1846, il est libre, comme il l’écrit à son ami Liszt : depuis mercredi 26 août je suis mon maître
[9]. Il assure alors sa subsistance en donnant des cours, comme il l’avait déjà entrepris depuis ses années d’études, et en devenant pianiste accompagnateur aux concerts de l’Institut musical d’Orléans jusqu’en 1863. Cette autonomie lui permet de fonder un foyer avec Eugénie Saillot (1824-1918), l’une de ses élèves avec qui il se marie en 1848. Ils auront quatre enfants.
Cet envol marque aussi le début de sa carrière d’organiste tandis qu’il délaisse celle, « mondaine », de soliste virtuose du piano. Il compose également pour l’orgue sa première Pièce en mi bémol. Grâce notamment à la famille Cavaillé-Coll, l’orgue est en pleine révolution depuis le début des années 1840. En 1846, de nouvelles orgues sont inaugurées dans les églises parisiennes, à Saint-Sulpice, à la Madeleine et à Saint-Jean-Saint-François. En 1851, Franck devient le titulaire de l’orgue de cette dernière église puis, à partir de 1859, de celui de la nouvelle église Sainte-Clotilde jusqu’à sa mort en 1890. Pour cet instrument de Cavaillé-Coll, il composera des cycles d’œuvres comme les Six Pièces pour grand orgue (1860-1862), les Trois Pièces pour grand orgue (1878) ou encore Trois chorals (1890).
La « bande à Franck »
En 1872, César Franck est nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Paris, succédant ainsi à son maître François Benoist. Il fera de cette classe un véritable laboratoire de composition en fédérant un groupe de jeunes musiciens brillants – la « bande à Franck » – parmi lesquels Vincent d’Indy, Ernest Chausson, Henri Duparc, Louis Vierne. Plus tard, Georges BizetÀ cette époque, Bizet (qui avait remporté un premier prix d’orgue en 1855 avec Benoist, le prédécesseur de Franck) est déjà célèbre. Il retrouve néanmoins les bancs de l’école, attiré par la personalité de Franck
(Fauquet p. 475). et Claude Debussy assisteront aussi à ses cours. Franck a donc la responsabilité de l’avenir de la musique française : Ainsi, de par son rayonnement d’artiste et de pédagogue, soucieux de la haute portée de sa démarche spirituelle, toujours égal à lui-même, acharné au travail, hanté par la perfection, cet être d’élite, renonçant aux honneurs et à la gloire facile, sacrifia une partie de sa carrière à l’enseignement.
[10]
Franck est pour ses élèves un musicien complet. Il maîtrise l’art de la fugue et du contrepoint, plaçant Bach au-dessus de tout autre. Mel Bonis, l’une de ses élèves, écrit en 1878 : Le maître Franck dit un jour devant moi ces mots, que je n’ai vus cités nulle part : "Bach est le plus ancien des musiciens de l’Avenir".
[11]
La « bande à Franck » se rend régulièrement à Sainte-Clotilde pour y entendre les incroyables improvisations du maître. Vierne témoigne de cette expérience : Je n’ai jamais rien entendu qui puisse se comparer à l’improvisation de Franck du point de vue de l’invention purement musicale. [...] une polyphonie d’une incomparable richesse dans laquelle mélodie, harmonie, architecture se disputaient l’originalité, la trouvaille émouvante, traversées par les éclairs d’un génie manifeste.
[12].
Ars Gallica : la période prolifique et la Société Nationale de Musique
En 1871, la défaite de la France face à la Prusse participe à faire émerger une cause commune pour l’ensemble des musiciens français : créer un style national. Mais comment ces musiciens formés à l’école allemande par l’héritage de Bach ou de Beethoven, revendiquant même ouvertement des modèles et des sources d’inspiration germaniques
[13], pouvaient-ils s’émanciper de l’héritage allemand ?
César Franck, allemand par sa mère mais ayant obtenu la nationalité française, devient dans ce contexte un « maître providentiel » conjuguant ce double héritage, français et allemand. Les jeunes compositeurs se réunissent alors autour de lui, reportant sans éprouver la moindre culpabilité, leur attachement à la culture germanique qui continuait à nourrir leur art
[14].
Pour créer une dynamique favorisant la création musicale française, la Société Nationale de Musique est créée un mois après la fin de la guerre, le 25 février 1871. Tous les jeunes compositeurs, élèves de Franck, participent à la mise en place des statuts de cette association ; Bussine et Saint-Saëns en sont les premiers présidents. Sa devise est Ars Gallica. Les concerts ont lieux tous les quinze jours et Franck y joue l’un de ses premiers grands trios lors du premier concert. C’est dans ce contexte que le maître produit de manière intensive la plupart de ses chefs-d’œuvre. Parmi eux figure le répertoire de musique de chambre avec le Quintette pour piano et cordes dédié à Camille Saint-Saëns (1880), la Sonate pour violon et piano (1886), le Quatuor à cordes (1890), mais également des poèmes symphoniques comme Le Chasseur maudit (1883).
Ainsi, étant devenu dans le dernier tiers de son existence un initiateur qui joignait la candeur de l’ange à l’autorité du chef de file, Franck se rangeait parmi les grandes figures charismatiques autour desquelles se regroupèrent, à diverses époques, les esprits décidés à changer la société ou à réformer l’art.
[15]
Le 8 novembre 1890, César Franck meurt à son domicile du boulevard Saint-Michel des suites d’un accident de fiacre.
Sources principales
- Joël-Marie FAUQUET, César Franck, Éditions Fayard, 1999
- François SABATIER, Que sais-je ? César Franck et l’orgue, Éditions PUF, 1982
Références des citations
- [1] Joël-Marie Fauquet, p. 47 ↑
- [2] Joël-Marie Fauquet, p. 50 note n° 5 ↑
- [3] Joël-Marie Fauquet, p. 57 ↑
- [4] Joël-Marie Fauquet, p. 103 ↑
- [5] Joël-Marie Fauquet, p. 105 ↑
- [6] Joël-Marie Fauquet, p. 128 ↑
- [7] Joël-Marie Fauquet, p. 133 ↑
- [8] Joël-Marie Fauquet, p. 133 ↑
- [9] Joël-Marie Fauquet, p. 204 ↑
- [10] François Sabatier, p. 20-21 ↑
- [11] Joël-Marie Fauquet, p. 574 note n° 2 ↑
- [12] François Sabatier, p. 17 ↑
- [13] Joël-Marie Fauquet, p. 424 ↑
- [14] Joël-Marie Fauquet, p. 424 ↑
- [15] Joël-Marie Fauquet, p. 17 ↑
Auteur : Benoît Faucher