Crédits de l’exposition
- Commissaire : Dominique Dreyfus, Myriam Jacobson, Carlos Sandroni
- Scénographie : Marianne Klapisch, Mitia Claisse
- Textes pédagogiques : Anaïs Fléchet
Page découverte
Expositions temporaires du musée de la musique
La musique brésilienne est à l’image de la diversité du pays : métisse et syncopée. L’exposition MPB Musique Populaire Brésilienne est une traversée dans cet univers foisonnant raconté par ses sons, ses images, ses objets. Retraçant les origines de la musique populaire brésilienne, son essor (les médias et la fête, rythmes brésiliens et rêves occidentaux) jusqu’aux courants musicaux actuels, c’est la musique dans toutes ses expressions qui balise le parcours de l’exposition.
La musique rythme la vie des Brésiliens : festive à l’heure du carnaval, elle est triste et révoltée quand il s’agit de dénoncer les inégalités et la misère, opportuniste ou manipulée quand le pouvoir s’en mêle. De fait, la MPB se révèle souvent baromètre du Brésil oscillant entre musique et modernité et musique et dictature.
Entre identité (choro, samba et baiao) et histoire, la musique populaire brésilienne regorge de rythmes, danses, costumes et instruments inédits. Entre mouvement et son, elle constitue une excellente introduction à l’année du Brésil en France.
À l’aube du XXe siècle, la musique populaire brésilienne naît de la rencontre des traditions amérindienne, européenne et africaine. Trois civilisations, trois univers sonores mais surtout des hommes - Indiens, colons ou esclaves - dont l’histoire croisée est à l’origine des rythmes du Brésil.
Des documents récents évoquent la pérennité des danses indiennes et des rythmes africains dans le Brésil d’aujourd’hui.
Plus récemment, les documentaires réalisés dans le cadre du projet videos nas aldeias (« vidéo au village ») proposent une innovation radicale : inverser le regard ethnologique traditionnel en confiant aux Indiens la responsabilité de réaliser eux-mêmes les films concernant leurs manifestations festives.
Autres rythmes, autres rivages, les images de candomblé illustrent la force de la musique africaine, une musique religieuse et festive qui a constitué pendant la période coloniale un élément essentiel de la résistance des esclaves bantous ou yorubas.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le métissage musical donne naissance à des styles typiquement brésiliens. Le choro, la maxixe et la samba transforment les rues de Rio de Janeiro tandis que le baião, le xote, le xaxado, le coco et la toada animent les bals populaires du Nordeste. La musique se fait anthropophage aux dires du poète Oswald de Andrade, expression d’une identité brésilienne résultant de la « digestion » de trois cultures.
Le choro est une musique instrumentale née à la fin du XIXe siècle dans la classe moyenne et métisse de Rio de Janeiro. Il s’agit au départ d’un jeito, d’une manière d’interpréter les nouvelles danses venues d’Europe et notamment la polka en y introduisant la vivacité rythmique et les instruments de percussions afro-brésiliens.
Très populaire, le choro devient un genre à part entière dans les premières années du XXe siècle. Il se caractérise par une formule rythmique proche du tresillo cubain et la part essentielle accordée à l’improvisation.
Souvent comparée à celle du jazz, l’histoire du choro traverse le siècle avec ses pères fondateurs - les compositeurs Chiquinha Gonzaga et Ernesto Nazareth - et ses enfants terribles - le flûtiste Pixinguinha, le joueur de bandolim Jacob do Bandolim, le saxophoniste et clarinettiste Paulo Moura et autres Os Batutas.
La samba apparaît vers 1916 dans les quartiers populaires du centre de Rio connus sous le nom de Pequena Africa, autour du percussioniste João da Bahiana, du guitariste Donga, Pixinguinha, et du pianiste Sinhô.
Le succès ne se fait pas attendre : la samba rythme le carnaval et fait l’objet de nombreux enregistrements dont le premier, Pelo Telefone, a lieu en 1917. L’ampleur du phénomène inquiète les élites blanches qui n’hésitent pas à condamner « une danse licencieuse, une musique de nègres et de voyous ».
Très vite cependant, la situation évolue : les élites se laissent prendre aux charmes de la samba qui devient au cours des années 1920 le rythme brésilien par excellence.
Le baião constitue le troisième grand courant de la musique populaire brésilienne. De ce rythme naîtra l’ensemble des musiques traditionnelles rurales du Nordeste, une région qui s’étend de l’État de Bahia au sud à celui du Maranhão au nord.
Terre de la faim, des grands seigneurs et des caboclos - métis de blancs et d’Indiens -, le Nordeste est le lieu de nombreux syncrétismes. La musique y rythme la vie des hommes : elle anime les bals, accompagne le travail, égaye les marchés quand les repentistas, héritiers des troubadours du Moyen-âge, improvisent de longs récits historiques au son de la viola, une petite guitare à cinq cordes.
Longtemps ignorées du reste du pays, ces musiques parviennent sur le devant de la scène brésilienne dans les années 1940 grâce à Luiz Gonzaga et Jackson do Pandeiro.
De la naissance d’un style à la reconnaissance d’une identité musicale, il faut analyser les médiations : des lieux, des fêtes mais aussi des supports techniques en évolution constante. Les grands médias de masse que sont la radio, le cinéma et la télévision ; le carnaval et autres fêtes musicales à caractère religieux ; les marchés ruraux où sont vendues des partitions et de la littérature de cordel sous forme de simples folhetos constituent autant de modalités de diffusion d’une musique qui devient dès lors strictement brésilienne, non plus nordestine ou carioca.
Des publicités pour des maisons d’instruments, des affiches de revues musicales, des extraits de la très célèbre comédie musicale des années 1930, Alô, Alô Brasil, ou d’émissions de radio-crochet présentent les différents médias qui ont contribué à diffuser la musique au Brésil.
Le carnaval, à l’instar du carnaval carioca du début du siècle aux années 1950, les fêtes religieuses et profanes (Bumba meu boi « Fête du boeuf » dans le Maranhão, fêtes de la Saint Jean dans tout le Nordeste, fête de Iémanja et de Bonfim à Bahia etc.) constituent peut-être les plus puissants supports de la musique brésilienne.
Au-delà des frontières, la musique brésilienne alimente les rêves exotiques des Occidentaux et domine l’image du Brésil - pays du football, du carnaval et de la samba.
Alors qu’en 1922, Pixinguinha lance la samba à Paris, dans les années 1940, c’est aux États-Unis que les musiques brésiliennes se font connaître. Dans le contexte de la politique de bon voisinage initiée par Roosevelt à destination de l’Amérique Latine, des artistes brésiliens sont invités à se produire sur la scène nord-américaine.
Ary Barroso compose dans les studios Walt Disney la musique des dessins animés Saludos, Amigos et The Three Caballeros tandis que la chanteuse Carmen Miranda tourne à Hollywood de nombreux films musicaux. L’actrice incarne la brazilian bombshell : une femme sensuelle qui se déhanche sur des rythmes endiablés le long de plages bordées de cocotiers.
La découverte de la bossa nova par les jazzmen nord-américains au début des années 1960 rompt l’image hollywoodienne de la musique brésilienne en proposant une esthétique feutrée, intimiste et résolument moderne, contrepoint de l’explosion festive d’une samba de carnaval.
Des extraits de films de fiction produits aux États-Unis, des reproductions d’affiches et de photographies retracent l’arrivée de la musique brésilienne en Amérique du Nord.
Copacabana, un film où Groucho Marx donne la réplique à Carmen Miranda, Scare Stiff avec Dean Martin et Jerry Lewis, Orfeu negro réalisé par le Français Marcel Camus sur une musique de Tom Jobim et Vinicius de Moraes ou Eyes witness un documentaire sur la bossa nova, réalisé aux États-Unis, dessinent l’histoire d’un regard : celui des Occidentaux sur le Brésil.
Expression de l’identité nationale au Brésil, rythme sensuel à l’étranger, la musique populaire est également le lieu où s’expriment les tensions sociales, politiques et ethniques qui parcourent le pays. Les textes des chansons permettent au peuple de prendre la parole, et invitent celui qui les écoute à décrypter l’histoire brésilienne.
L’essor de la bossa-nova est indissociable de la présidence de Juscelino Kubitschek (1956-1960). Le style musical défendu par Tom Jobim, João Gilberto et Vinicius de Moraes répond à la vague d’espoir qui soulève alors le Brésil.
La musique aux harmonies dissonantes et jazzy répond à la construction de Brasília, nouvelle capitale conçue selon les principes du zoning, aux défis du développement, à la coupe du monde de football remportée par l’équipe de Pelé et Garrincha.
Le coup d’État de 1964 instaure un régime autoritaire au Brésil : les opposants politiques sont poursuivis et la censure est à l’ordre du jour. Dans un premier temps, la musique populaire semble y échapper. Elle devient une prise de parole en faveur de la démocratie lors de festivals de la chanson organisés par les chaînes de télévision. Aussi, les premières années de la dictature sont paradoxalement une époque d’innovation musicale.
Tout en conservant ses racines, la musique populaire brésilienne s’ouvre aux horizons pop et rock. Le tropicalisme de Caetano Veloso, Gilberto Gil, Gal Costa et Tom Zé prône une certaine esthétique de la citation ; l’heure est à l’exubérance, signe de résistance et de liberté. Le mouvement se brise en 1968, lorsque les militaires imposent l’acte institutionnel n° 5 qui suspend les droits civiques et renforce le pouvoir du général président.
Caetano et Gil sont emprisonnés puis contraints à l’exil, alors que Chico Buarque mène le combat du verbe contre les censeurs.
L’année 1984 marque la fin de la dictature. Le combat reprend pour que le retour à la démocratie se fasse à travers des élections directes. Et à nouveau, les musiciens s’engagent. Chico Buarque, Martinho da Vila, Fagner, João Bosco et d’autres mettent leur voix, leurs chansons, leur notoriété au service de cette cause.
Hors de tout mouvement organisé, les courants musicaux actuels s’élaborent sous le signe de la diversité : les guitares électriques, le kitsch de Carmen Miranda, les rythmes du baião et du rock’n’roll. Aujourd’hui le mélange est à l’honneur dans le mangue beat de Chico Science, la bossa nova électro de Bebel Gilberto, la samba-rap de Marcelo D2 et d’autres encore.
Chaque musicien entend mener ses recherches dans la direction qui lui est chère. Tous pourtant se rejoignent dans une réappropriation de l’Histoire.
La musique actuelle se tourne vers ses racines, plonge dans la tradition. Mais la démarche n’est ni nostalgique, ni passéiste : l’étude de la musique brésilienne dans tous ses états et tous ses temps permet aux artistes de mieux se comprendre et se redéfinir après les années de chaos de la dictature et de la crise économique.
L’exposition se compose de cinq salles thématiques. Le visiteur est invité à suivre l’histoire de la musique populaire brésilienne, de ses origines à ses prolongements les plus actuels, à inscrire ces rythmes de fête, de colère ou d’exil dans le quotidien du peuple brésilien. Un peuple métis, indien, blanc, noir, dont la musique exprime l’identité.
Cette exposition donne la part belle à l’œil de la caméra. Telles les pièces d’un puzzle en construction depuis la fin du XIXe siècle, des extraits de films, de documentaires, de reportages, de clips, d’émissions télévisées s’organisent dans l’espace pour reconstituer un récit intitulé « MPB, Musique populaire brésilienne ».
Parce que le photographe peut recommencer indéfiniment la même prise, qu’on peut la reproduire et s’amuser de ces reproductions, la photo crée du rythme. Voilà qui convient au sujet, lorsqu’on sait que la musique a inspiré, dès la fin du XIXe siècle, grands photographes ou simples anonymes, dont les clichés ponctuent le récit.
Mouvement et son, la musique a ses traces écrites : partitions, manuscrits, pochettes de disques, affiches de concerts, coupures de presse étayent, comme des notes de bas de pages, le déroulement de l’exposé.
L’œuvre parmi les œuvres exposées, il y a la musique, qu’on peut regarder les yeux fermés, tout au long du trajet. Elément ludique autant qu’informatif. Un parcours musical diffusé par des audioguides individuels accompagne le visiteur. Il propose un panorama des multiples visages sonores du Brésil : des chants grégoriens aux envolées lyriques de Milton Nascimento, des batuques des anciens esclaves aux baterias des écoles de samba, de l’atmosphère intimiste de la bossa-nova à l’exubérance du tropicalisme de Caetano Veloso, Gilberto Gil et Gal Costa ou encore les expériences électroniques de Marcelo D2 ou de Chico Science.