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Expositions temporaires du Musée de la musique
MUSICANIMALE
Le grand bestiaire sonore
Exposition du 20 septembre 2022 au 29 janvier 2023 - Musée de la musique, Paris
Présentation
La biodiversité est menacée, c’est entendu. Et nous commençons sérieusement à l’entendre. Lorsqu’on réalise qu’en cinquante ans, 50 % des sons du vivant auraient disparu, ne devient-il pas crucial d’écouter, de capter ces chants, et surtout de réintroduire l’homme dans la symphonie du vivant ? Et comment apprécier, d’ailleurs, l’extraordinaire diversité des vocalisations animales ? Par-delà leur fonction de communication, ces manifestations créent-elles une musique animale
?
À mi-chemin entre l’art et la science, Musicanimale. Le grand bestiaire sonore tend l’oreille et sonde l’acoustique du monde. Vocalises d’oiseaux, stridulations d’insectes, chants mélodiques de baleines, hurlements chorals de loups : l’exposition fait non seulement entendre les sons d’une quarantaine d’espèces, mais elle montre, à travers un riche parcours d’œuvres et d’objets d’art, combien ils fascinent et inspirent, combien ils suscitent de poésies visuelles et sonores.
Entre imagier vagabond et cabinet de curiosités, le parcours de l’exposition recompose un abécédaire. Chaque lettre fait référence tantôt au règne animal (Coq, Loup…) et aux paysages sonores du monde (Chant des baleines, Nuit…), tantôt à des objets emblématiques des cultures populaires (Coucous, Serinette…) ou à la manière dont l’histoire de l’art et de la musique s’est approprié l’imaginaire de l’animal (Miauler, Papageno…).
Trente-deux sections, et autant de micro-histoires, sont ainsi ouvertes. Elles ne prétendent pas épuiser le sujet, mais proposent d’activer la sensibilité pour la diversité sonore du réel, tout en restituant la diversité d’être au monde et d’écouter le vivant.
Parcours de l’exposition
Concert d'oiseaux
Dans les premières mythologies, la musique humaine naît souvent de l’émerveillement éprouvé au contact de la nature, et particulièrement d’une fascination pour le chant des oiseaux. Cette connivence profonde du règne animal et du genre humain s’exprime ici par la réunion de chants d’oiseaux du monde entier, comme autant d’allégories de la musique originelle. Aux peintures visuelles et sonores de Frans Snijders et de ses suiveurs répondent quatre Chœurs de l’aube
recomposés par le bioacousticien Bernie Krause, peignant l’éveil d’oiseaux de Bornéo, de Bavière, des îles Fidji et du delta du Yukon.
Réintroduire ainsi l’homme dans la symphonie du vivant, c’est affirmer qu’il peut y avoir une interaction musicale entre humains et non-humains, et contourner ainsi les conceptions occidentales séparant les deux règnes. En restituant la multiplicité des intelligences qui relient, sur l’ensemble des continents, l’homme et les voix animales, l’exposition défend une forme d’écoute qui permette, à l’image de la diversité du réel, de multiplier notre monde et nos manières de l’habiter
(Vinciane Despret).
Appeaux
Les appeaux sont de petits instruments de musique qui, lorsqu’on les joue, peuvent glousser comme une perdrix ou aboyer comme un chevreuil. Conçus à l’origine à partir de noyaux de fruits, de plumes ou encore de roseaux, ils sont utilisés initialement par les chasseurs pour tromper le petit gibier. Par-delà cette vocation, les appeaux éclairent aussi la propension des hommes et des cultures du monde entier à développer une forme de langage susceptible de les relier au monde animal. Censés reproduire les chants de l’avifaune, ils constituent une sorte d’inventaire des vocalisations d’oiseaux et d’animaux peuplant la forêt.
En tant qu’instrument destiné à créer l’illusion, l’appeau est également investi d’une réflexion sur le leurre dont s’emparent aujourd’hui de nombreux artistes, musiciens et plasticiens.
Murmuration
Le terme murmuration
désigne le regroupement de milliers d’oiseaux, le plus souvent des étourneaux, volant telle une masse unique dotée de conscience. Véritable ballet aérien, ce phénomène s’observe principalement au début de l’hiver, juste avant le coucher du soleil, lorsque les oiseaux cherchent un endroit où dormir.
Brame
Mi-bête, mi-forêt
selon Pierre de Ronsard, le cerf donne de la voix lorsque l’été s’achève et que les paysages s’habillent de brume et de roux. Son cri, appelé brame, annonce le début de la saison de reproduction. C’est un mugissement rauque, crépusculaire ou nocturne, qui parle de conquête, d’amour, de rivalité et d’énervement. Le cou tendu et la tête en arrière, le cerf s’exhibe devant un concurrent ou un groupe de biches ; il manifeste son excitation sexuelle et marque son territoire.
Animal sacré dans les cultes païens, le cerf devient dès le Moyen Âge, dans la tradition chrétienne, un symbole de résurrection. Et dans bien des rituels chamaniques, il est doué d’un pouvoir prophétique. Son cri devient ainsi une clameur, presque un oracle, aussi irréelle que visionnaire, que s’approprient artistes et écrivains, souvent comme un acte politique.
Bêtes et contes
Les animaux sont souvent les principaux héros des contes. Mais ils y portent surtout le costume des hommes, leurs qualités ou leurs défauts, leur lucidité ou leur ignorance. Le caractère et le timbre des voix animales s’immiscent parfois dans l’intrigue, pour questionner alors la nature humaine.
Coq
Le chant du coq est perçu universellement comme un signal. Il marque à l’aube la dissipation des ténèbres et l’arrivée du jour. Dans les traditions chrétiennes et islamiques, il annonce le Jugement dernier – expliquant notamment sa présence sur de nombreux clochers d’églises en Europe.
Crieur et avertisseur : telle est l’identité du coq que met ici en scène l’artiste belge Koen Vanmechelen dans l’installation Calling the World, conçue pour l’exposition. Crier gare, avertir des dangers de l’extrémisme politique et religieux, du dérèglement du climat et de la prolifération des armes atomiques. Dans le chaos du monde, le chant du coq est le moment de l’éveil, du retour sur soi ou de la réflexion sur l’immense champ des possibles qu’ouvre un nouveau jour au sortir des ténèbres.
Chant des baleines
Parmi les cétacés, la baleine à bosse est connue pour ses grandes migrations, mais aussi pour ses chants majestueux. Émis principalement pendant les périodes de reproduction, le chant des mâles semble servir davantage à se localiser et à s’impressionner mutuellement. Leurs vocalisations sont répétées dans un ordre particulier, sous forme de leitmotivs ; spécifiques à chaque région, ces derniers évoluent d’une année à l’autre.
Captées pour la première fois par la marine militaire américaine dans les années 1950, puis définies comme des chants par les acousticiens Roger Payne et Scott McVay, les vocalisations des baleines furent gravées en 1970 sur un vinyle devenu un best-seller : Songs of the Humpback Whale. Vendu à plus de 125 000 exemplaires, cet album eut un impact majeur dans l’éveil d’une conscience environnementale, tout en inspirant de nombreux compositeurs comme John Cage, George Crumb, Iannis Xenakis, Alice in Chains, Charlie Haden ou plus récemment le groupe de métal Gojira.
Dans cette salle sont diffusées des images de baleines à bosse issues du film Océans de Jacques Perrin et des extraits du disque Songs of the Humpback Whale, alternant avec des œuvres musicales inspirées directement par le chant des cétacés.
Coucous
La pendule à coucou telle que nous la connaissons aujourd’hui serait apparue en 1738, lorsque Franz Anton Ketterer, maître horloger de Schönwald, en Forêt-Noire, ajouta à son horloge un oiseau en mouvement et sifflant pour annoncer l’heure. Pour imiter le chant du coucou, Ketterer conçut un mécanisme de sifflets alimentés par des petits soufflets, à l’image du système utilisé pour l’orgue.
Largement répandue à partir du XIXe siècle dans les demeures et foyers d’Europe, cette horloge évoque alors l’aimable simplicité d’une vie agraire idéalisée dans un paysage alpestre, préservée des aléas du progrès. Avec la modernité, elle devient objet de design, prétexte à réinvention et à réflexion sur les préoccupations de la société contemporaine.
Disparition
Les nouvelles sont mauvaises, et elles ne sont pas nouvelles : tous les scientifiques, toutes les organisations impliquées dans le suivi et la protection des écosystèmes naturels nous alarment sur l’effondrement de la biodiversité. Parallèlement disparaissent les sons de la vie : les chants des oiseaux du matin, les stridulations des insectes du soir, les coassements des grenouilles de la nuit, les vocalisations des baleines, les cris des gorilles… Année après année, pollution après pollution, destruction après destruction, la Terre s’ensilence, perdant ses voix élaborées au cours de millions d’années d’évolution.
Loin du schisme qui séparerait homme et nature, les voix humaines sont également sous la menace anthropique. De nombreuses langues, estimées aujourd’hui au nombre de sept mille, sont vouées à disparaître – si bien que la moitié d’entre elles ne seraient plus parlées à la fin du XXIe siècle.
Dialogues
Quelle émotion suscite l’écoute du vivant selon que l’on est philosophe, éco-acousticien, musicien ou activiste ? Et comment définir l’extraordinaire diversité sonore du monde ? Certains y perçoivent, de manière sensible, une « musique » animale à partir de laquelle on peut même composer, tandis que d’autres y cherchent les « signaux » capables de traduire l’évolution de la biodiversité.
Dans ce film, le journaliste et réalisateur Antonio Fischetti réunit cinq personnalités, et autant de points de vue, autour d’une même question : comment chacun entend-il et dialogue-t-il avec le vivant ?
Escargot
Les mouvements de l’escargot sont un éloge à la lenteur et l’affirmation, au sein du règne animal, d’autres réalités temporelles que celles qui rythment le temps humain. L’oeuvre If and Only If d’Anri Sala scrute la longue ascension de l’animal sur l’archet du musicien Gérard Caussé tandis qu’il interprète l’Élégie pour alto seul d’Igor Stravinsky. Si l’œuvre de Stravinsky est en soi contemplative, l’altiste compose avec la présence du gastéropode et adapte son exécution à cet étrange invité. Il en résulte une véritable polyphonie à deux voix.
Facéties et singeries
Parce qu’il est la bête la plus semblable à l’être humain, et surtout celle qui imite le mieux ses actions, le singe a façonné depuis l’Antiquité un genre décoratif éminemment facétieux : la singerie. On y trouve l’animal caricaturant l’attitude ou l’activité des hommes, qu’ils soient peintres, avocats, hommes de lettres ou, comme ici, musiciens. Des faïences d’Égypte aux porcelaines de Meissen, le singe-musicien stigmatise la mauvaise musique dont sont capables les humains, ou encore la mélomanie mondaine de la bourgeoisie.
La singerie ne nous dit donc rien du singe. Ce motif est une grimace où se lit aussi la volonté d’affirmer la supériorité de l’homme sur les autres espèces. Car l’idée d’une sensibilité ou d’une intelligence animale n’est ici qu’une hypothèse absurde, et donc offerte au rire.
Gouglouter
Le dindon aurait-il des ressources musicales ? Toujours est-il que l’essor de la bioacoustique, à partir des années 1960, a considérablement accru l’attention des artistes et des musiciens pour le potentiel musical des mondes vivants. Se sont ainsi multipliés les projets musicaux intégrant des voix d’animaux aux compositions humaines.
Emblématique du genre, l’album Playing Music with Animals du musicien et activiste Jim Nollmann, paru en 1982, ose des duos inédits entre une orque et une guitare électrique, ou encore entre des loups et un violoncelle. Dans cet extrait, Jim Nollmann entonne l’air célèbre de folk Froggy Went a-Courting
rythmé par le gloussement de trois cents dindons.
Hybride
Aujourd’hui, de nombreux musiciens et performeurs jouent de l’imitation ou de l’intégration de voix animales dans leurs créations, pour oser un langage qui dépasse la notion d’espèce.
Des performances vocales d’Yma Sumac à celles de Violaine Lochu, des compositions de François-Bernard Mâche aux imitations poétiques des Chanteurs d’oiseaux, six extraits d’œuvres montrent ici la permanence de cette sensibilité dans l’histoire artistique du XXe siècle. Dans ces hybridations sonores, l’art assume ainsi l’animalité. Et l’homme redevient lui-même la nature consciente d’elle-même
(Élisée Reclus).
Insectes et autres arthropodes
L’infiniment petit est capable des sonorités les plus saillantes. De nombreux arthropodes savent bien user de leur corps pour produire des sons organisés. Par frottement, percussion, souffle ou déformation de leurs ailes, pattes, abdomen, thorax ou antennes, ils se révèlent, s’interpellent, se stimulent par l’acoustique, surtout au temps de la reproduction, quand il est l’heure de se rencontrer.
Si elles composent, comme une basse continue, l’identité sonore du monde, ces bestioles nourrissent aussi largement l’imaginaire des compositeurs. La plupart des arthropodes ont ainsi leur portrait
musical. Ces derniers sont le plus souvent des miniatures, des pièces très courtes, souvent un seul instrument, cherchant à retracer le tempérament ou l’allure d’un insecte.
Ce mur déploie une vraie galerie musicale d’entomologie
: chaque insecte est donné non seulement à voir mais à entendre, d’abord dans son identité sonore concrète, puis à travers celle qu’ont imaginée les musiciens, de Nikolaï Rimski-Korsakov à Miles Davis. En contrepoint, l’artiste Julien Salaud dialogue avec ces portraits par ses propres natures mortes d’insectes transformés.
Jacasser comme...
Avoir un chat dans la gorge, crier au loup, être gai comme un pinson… Omniprésent dans la langue française, le monde animal suscite même des expressions sonores
, qui réinvestissent l’idée qu’on se fait des animaux.
Ici, un jeu propose de placer l’animal adéquat dans des bouches d’humains, pour reconstituer ces expressions du langage courant.
Knud Victor
Naturaliste et précurseur de l’écologie sonore, Knud Viktor (1924-2013) est formé à la peinture et à la gravure à l’Académie des beaux-arts de Copenhague, au Danemark. Sur les traces de Vincent van Gogh, il s’installe avec sa famille au début des années 1960 dans le Luberon. C’est en découvrant l’influence de la lumière sur le chant des cigales que l’univers sonore de cette région le captive. Il devient alors peintre sonore
.
Bricolant des dispositifs qui lui permettent de capter des sons imperceptibles, les palabres des fourmis ou les bruits d’un lapin qui rêve, Knud Viktor crée des images sonores
qui scrutent le monde miniature. C’est aussi par les moyens de la photographie et de la vidéo qu’il pousse toujours plus loin cette exploration du monde, en livrant des images qui, lorsqu’on les observe attentivement, chuchotent presque à l’oreille.
Loup
Son fameux hurlement, souvent poussé à l’aube ou à la pleine lune, a contribué à édifier la légende inquiétante du loup. Pourtant, ce cri n’est qu’une façon d’échanger avec ses congénères. Le hurlement est avant tout un « appel social ». L’animal indique sa position notamment pour obtenir en retour celle des autres membres de la meute, avertir d’une intrusion ou d’une situation inconfortable. Collectif, le hurlement chez les loups semble donc jouer un rôle de cohésion. C’est un appel stratégique qui rappelle la hiérarchie stricte respectée par la meute.
Miauler
Si l’on a très tôt reconnu, en Europe, une forme de chant dans les inflexions vocales du chat, c’est pour y entendre surtout « désordre », « dissonance » et « gémissement ». Bref, un charivari. Ce préjugé a même façonné, au XVIIe siècle, deux iconographies aussi piquantes que grotesques : le concert de chats, montrant une assemblée de félins (a)musiciens qui miaulent autour d’une partition, et l’orgue à chats, diabolique invention instrumentalisant l’animal pour le faire chanter.
Dans l’imaginaire européen, le miaulement est donc surtout un motif carnavalesque, mélange de lubricité et de disharmonie. Mais cet avis n’est-il pas arbitraire ? Le culte rendu dans l’Égypte ancienne à Bastet, déesse aux traits félins associée à la musique et à la danse, montre que d’autres civilisations ont pu investir musicalement les miaulements du chat.
Notations
Nombreuses sont les tentatives de transcrire, sur des carnets, des feuilles ou des partitions, les voix de la nature pour en comprendre le fonctionnement ou y trouver un matériau artistique nouveau.
Noter une voix animale est en soi un paradoxe. Cela suppose de traduire dans notre ordre sonore des sons qui relèvent d’un autre, que nous ignorons et qui s’étend souvent au-delà des limites de notre audibilité. Bref, nous transcrivons le chant d’une baleine ou d’un oiseau sans en connaître la langue. Ce qui explique sans doute la diversité de propositions, toutes aussi empiriques que sincères. Certains théoriciens et musiciens, comme Athanasius Kircher ou Olivier Messiaen, écrivent ces chants à l’aide du système occidental de notation musicale, quand d’autres artistes privilégient la poésie et l’expérience littéraire, comme Annette Messager, ou encore l’invention graphique et chromatique, comme Olivier Leroi et Miruka.
Nuit
L’audionaturaliste Fernand Deroussen crée ici une installation qui plonge le visiteur dans le noir reconstitué de trois nuits sonores : l’une dans une vallée en Drôme, l’autre dans la forêt amazonienne de Guyane, la dernière dans la brousse du Kenya.
Au crépuscule, la nature se met à bruisser d’une faune mystérieuse, peu visible et souvent moins connue. Mais si la biodiversité nocturne reste peu observée au profit des espèces diurnes, elle représente pourtant la majorité des êtres vivant sur Terre ! La nuit est en effet un refuge sécurisant pour de nombreux animaux. Certains cherchent à fuir l’écrasante température de la journée. Pour d’autres, en quête de nourriture, d’eau ou d’espace, vivre la nuit limite la compétition. C’est alors au coeur de la nuit, quand les repères visuels disparaissent, que le son a toute sa raison d’être. Quand on ne peut se voir, on se met à parler, à chanter.
Papageno
Des grenouilles de Jean-Philippe Rameau aux renards de Leoš Janáček, l’histoire de l’opéra regorge d’animaux de toutes sortes et de tous poils, qu’ils soient allégoriques, simples figurants ou véritables héros de l’intrigue. Gesticulant, volant, rampant, miaulant ou sifflant, leur chant se mêle à celui des hommes, questionne la prééminence de la voix humaine et introduit sur scène une sorte de musique primitive
(J.-F. Lattarico).
Créature hybride entre l’homme et l’oiseau, Papageno incarne à sa manière, dans La Flûte enchantée de Mozart (1791), cette animalité de l’opéra. Fournisseur d’oiseaux auprès de la Reine de la nuit, il parade avec insouciance, paré de plumes multicolores, volubile comme un perroquet, papegai. C’est qu’il a l’âme instinctive et sauvage d’un enfant et exprime sans détour ce désir primitif : trouver sa Papagena
Rossignol
S’il annonce le printemps, le rossignol est aussi, dans les traditions populaires, l’allégorie poétique des origines de la musique. Par son chant vigoureux, il incarne le lyrisme, l’exaltation amoureuse et le jaillissement de la nature. Le rossignol chante aussi la nuit ; soliste des plaines endormies, il libère alors dans l’âme des hommes, et particulièrement à l’époque romantique, une rêverie nocturne.
Les artistes Erik Samakh et Julien Salaud s’emparent ici de cet imaginaire dans deux créations. Erik Samakh compose un ensemble d’arbres sonores, animés de l’intérieur – presque viscéralement – par le chant de l’oiseau. À l’orée de ce petit bois se dresse L’Oiseau de nuit de Julien Salaud, véritable hybridation du vivant
qui suspend l’oiseau dans un entre-deux, entre disparition et renaissance.
Sonnailles
Qu’on les appelle sonnailles, clarines, toupins ou campanacci, les cloches associées aux troupeaux d’alpage découlent d’une longue et intime fréquentation de l’homme et de l’animal. Traditionnellement, elles permettent au berger de localiser le troupeau et d’en maintenir la cohésion – les sonnailles entre une mère et son petit peuvent ainsi être accordées. Dans le récit des bergers, ces instruments protègent même l’animal des influences néfastes, expliquant l’abondance de motifs religieux dans leur décor.
Chaque sonnaille est un objet unique, personnalisée dans sa forme visuelle comme dans sa voix
. Sa construction, généralement en bronze ou en fer, se fait à partir d’un nouveau moule, sans qu’aucun élément ne resserve d’une coulée à l’autre. Ainsi le berger choisit-il chaque cloche en fonction de l’identité sonore qu’il veut donner à l’animal et de la musique
qu’il veut faire naître du troupeau.
Serinette
Au XVIIIe siècle, dans les intérieurs bourgeois d’Europe, les oiseaux chanteurs sont nombreux. Conçus quasiment comme des objets de décoration sonore, bouvreuils, merles, alouettes et serins (ou canaris) ravissent non seulement par leur chant, mais par leur capacité à reproduire les airs à la mode. C’est ce que révèle l’existence de plusieurs instruments au tournant du XVIIIe siècle. D’abord le flageolet d’oiseau, petite flûte à six trous, au timbre aigu, destinée à apprendre la musique des humains aux oiseaux domestiques. Puis bientôt la serinette, orgue de Barbarie miniature que l’on actionne pour délivrer des airs simples et ainsi amener l’oiseau à acquérir un petit répertoire. L’homme du siècle de Chardin et de Rousseau, si sensible à la nature, est-il ainsi parvenu à la domestiquer, voire à la contraindre, au point de faire de l’oiseau un chanteur-automate ?
Tarentisme
Attesté dès le Moyen Âge, notamment dans la région italienne des Pouilles, le tarentisme est à la fois un rituel et un syndrome fondés sur la croyance en l’empoisonnement d’une araignée, la lycose de Tarente – que l’on sait aujourd’hui inoffensive. Sa morsure était alors jugée capable de plonger les victimes, surtout les femmes, dans un état convulsif que seules pouvaient guérir une danse effrénée (la pizzica) et une musique spécifique (la tarentella). L’ensemble de la communauté villageoise était généralement impliqué dans ce processus de guérison. Véritable exorcisme, le rituel pouvait se prolonger pendant des heures, parfois des jours, plusieurs instrumentistes jouant en continu pour ne pas interrompre le flux musical. Quant aux tarentulés
, ils reprenaient, sur cette musique, les mouvements liés au tempérament ou à la morphologie de l’araignée.
Depuis les années 1980, la patrimonialisation de ce rituel définit un enjeu politique majeur pour l’identité culturelle de la région des Pouilles.
Toile d'araignée
Prédatrice patiente et tisserande, l’araignée nourrit aussi, grâce à l’hypersensibilité de ses soies, une perception extraordinaire des vibrations. Depuis de nombreuses années, l’artiste Tomás Saraceno explore ce potentiel avec l’aide d’arachnologues et autres scientifiques, jusqu’à traduire en ondes sonores les mouvements infimes des toiles d’araignées. De créature, l’araignée devient ainsi créatrice.
Exemplaire de ce travail, l’œuvre Sounding the Air transmet par vidéo les mouvements et les oscillations des quatre fils d’araignées à un appareil qui les transforme en sons audibles. Flottants, ces filaments de soie résonnent dans l’air en fonction des mouvements invisibles de l’air provoqués par les changements de température, le flux des visiteurs et leur respiration.
Ultrasons
Résonnent tout autour de nous des sons qui nous échappent car leurs fréquences sont trop graves, comme les infrasons, ou trop aiguës, comme les ultrasons.
De nombreux amphibiens, insectes et mammifères produisent et entendent des ultrasons pour communiquer et se repérer dans leur environnement. Parmi eux, les chauves-souris sont les reines de la nuit ultrasonore. Au-dessus de nos têtes, elles sondent leur environnement en propulsant des cris intenses vibrant jusqu’à 110 000 fois par seconde. À la façon d’un sonar marin ou d’un échographe médical, elles analysent les échos que leur renvoient les corps et les objets qu’elles croisent en vol. C’est ainsi qu’elles identifient les reliefs de la pénombre, à la force de leur larynx et à la sensibilité de leurs oreilles.
Verbes et verbiages
À chaque animal son cri et à chaque cri son verbe. Si le chat miaule et le cerf brame, comment nommer les vocalisations du chameau, du rat ou du crocodile ?
Parade sexuelle
Parader est un acte fort d’exposition aux autres : les majorettes affichent leur dextérité, les carnavaliers leur jovialité, les manifestants leur combativité, les militaires leur martialité. Chez les animaux, la parade est une démonstration ostentatoire d’un autre état, celui de leur sexualité.
L’acoustique joue un rôle important dans les parades sexuelles d’un grand nombre d’espèces : les oiseaux, les amphibiens, les mammifères, les insectes et les poissons séduisent par le son. Trilles, glissandi, harmoniques, battements servent aux mâles à se montrer : ils préviennent de leur présence, de leur identité, de leur motivation et de leurs qualités reproductrices. Comme ici les cris des oiseaux paradisiers, les sons animaux savent être extravagants, pleins d’orgueil et d’hormones mâles
Zoomorphe
La profonde connivence musicale entre l’homme et l’animal se retrouve jusque dans la matérialité de nombreux instruments. Quand il n’intègre pas la matière animale, l’instrument en reprend parfois la forme. Guitare-tortue, luth charango avec carapace de tatou, cornet en forme de serpent, vièle à tête de cheval, hochet-corbeau …
Cette tendance au Zoomorphisme est-elle seulement une fantaisie, destinée à décorer les instruments de musique ?
S’agissant ici non pas d’objets inertes mais d’outils que l’on manipule pour produire des sons, ces formes et motifs peuvent exprimer l’une des destinations des instruments : restituer le son primitif et l’âme sonore du monde animal.
Crédits de l’exposition
- Commissaires : Marie-Pauline Martin, Jean-Hubert Martin
- Cheffe de projet : Julie Bénet
- Chargée de production : Pauline Méry
- Conseil scientifique : Olivier Adam, Madeleine Leclair, Jérôme Sueur, Federica Tamarozzi
- Scénographie : Du&Ma
- Graphiste (mise en pages) : Caroline Fabès
- Graphiste (Conception) : Lucille Guigon