Crédits de l’exposition
- Commissaires : Frédéric Dassas ; Dominique de Font-Réaulx ; Barthélémy Jobert ; Yves Gérard ; Adrien Goetz
- Scénographie : Vincent Cornu
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Expositions temporaires du musée de la musique
L’exposition L’Invention du Sentiment a été conçue en lien étroit avec l’exposition Figures de la Passion. Centrée autour de la période 1760-1830, elle est consacrée à l’émergence du mouvement romantique, à partir de l’exploration de la notion centrale de « sentiment », par opposition au thème classique des « passions ».
Au caractère relativement strict de la réflexion esthétique du XVIIe siècle répond la variété déroutante des voies ouvertes à partir du milieu du XVIIIe siècle. Transfigurant les modèles classiques, l’œuvre romantique obéit aux seules règles que se fixe son auteur et cherche sa justification dans la détermination d’une instance critique nouvelle : la vérité du sentiment.
La place de la musique est désormais centrale et la figure du musicien, à laquelle une partie de l’exposition est entièrement consacrée, acquiert une dimension emblématique qui témoigne de cette reconnaissance accrue.
L’exposition se déroule en cinq temps. Le premier, interroge la rhétorique des larmes et la vertu des héros et se concentre sur la dimension nouvelle que revêtent les représentations à forte connotation morale et affective, depuis Greuze jusqu’à David.
Le second est consacré à la scène musicale parisienne, évoquée à partir d’un ensemble de décors de scènes depuis Bélanger jusqu’à Cicéri, conçus pour des œuvres de Gluck, Spontini, Reicha, Auber. Le troisième temps, Tragédies antiques et cauchemars romantiques est organisé entre sujets anciens (la mort de Cléopâtre, l’histoire d’Enée, Sapho, Apollon et Hyacinthe.) et sujets modernes (Faust, Roméo et Juliette, Macbeth, Lénore.).
Est ensuite mis en exergue l’artiste romantique, en particulier le virtuose, à travers partitions, caricatures, allégories, évoquant les trois personnalités majeures que sont Beethoven, Liszt et Paganini. L’aspiration vers l’infini, clôt l’exposition par un regard sur la dimension quasi-mystique que revêt alors la contemplation de la nature.
L’expression du sentiment est abordée sous l’angle de la vertu héroïque, l’exemplum virtutis bien connu, et sous celui, réel mais un peu oublié dans l’historiographie de la seconde moitié du XVIIIe siècle, de la sentimentalité féminine. Se répondant et s’opposant, ces deux versants de l’expression des affects montrent à la fois les permanences et les ruptures avec la période précédente.
Le premier exalte la vertu héroïque des personnages dans un style épuré, sévère et énergique. Le tableau Etude D’Ensemble Pour Le Serment Des Horaces de David met en lumière la trinité du salut des trois Horaces à leur père au moment du serment. L’énergie et le parallélisme de leurs gestes expriment leur cohésion et le caractère inexorable de leur serment. Le dévouement à la patrie impose de renoncer aux attachements hérités des liens du sang.
Le second met l’accent sur la déploration, la douleur, l’abandon, dans l’élaboration d’une rhétorique des larmes déployée dans une gamme de sentiments allant du « touchant » jusqu’au désespoir le plus sombre.
Deux artistes, représentants de cette part « féminine » de l’expression du sentiment, Jean-Baptiste Greuze et Angelika Kauffmann, sont mis en avant. Le succès de ces artistes est alors considérable en raison du pathos très particulier présent dans leurs œuvres. Les tableaux choisis possèdent un caractère théâtral marqué. La rhétorique des sentiments s’y manifeste avec évidence. La figure du héros est présentée sous l’angle de la confrontation entre quelques-uns des peintres d’histoire du temps : West, David, Peyron, Drouais, entre l’Angleterre et la France, entre l’inspiration contemporaine et l’illustration de l’histoire ancienne, tout en s’appuyant sur des œuvres clés, au retentissement capital.
Le recours aux sujets modernes met un terme à l’hégémonie des récits antiques : le goût pour les intrigues romanesques permet l’exploration de toute la gamme des sentiments individuels, sans exclure l’ouverture sur le monde héroïque des personnages historiques, qui fait écho aux grands événements qui bouleversent l’Europe au tournant du siècle.
Les œuvres présentées constituent un cabinet d’œuvres graphiques consacré aux esquisses de décors de scènes, depuis l’Alceste de Gluck jusqu’à Gustav III d’Auber, présentant des œuvres de Bélanger, Percier, Fontaine et Ciceri.
Elles sont découpées chronologiquement en trois périodes : avant la Révolution, la période révolutionnaire et celle de l’Empire, la Restauration. Ce découpage chronologique permet d’introduire le problème des relations entre la scène, entendue au sens large (musique, théâtre, mise en scène, décor, costumes) et les arts plastiques.
Les principales innovations techniques sont l’agrandissement du cadre de la scène par le remplacement des habituelles toiles de fond par d’immenses toiles peintes panoramiques, les progrès en éclairage avec l’utilisation du gaz, en effets d’optique et jeux de lumière. Décorateurs et dessinateurs peuvent dès lors restituer plus efficacement la couleur des sites et l’authenticité des costumes.
Cette partie tend à montrer, par quelques exemples significatifs, la permanence, mais aussi les transformations vers un pathos et une théâtralité plus marqués, du sujet classique dans les premières décennies du XIXe siècle, alors même que se développe une nouvelle thématique, où l’expression de la raison, et même du sentiment, cède le pas à la mise en avant d’émotions intenses, voire d’états seconds - le cauchemar, les délires, la hantise de la mort. Cette thématique est celle du romantisme, dans son acceptation la plus commune.
Si les sujets antiques sont toujours traités, des sujets nouveaux apparaissent et correspondent au renouvellement de la forme. La liberté de l’artiste est souveraine. L’esquisse acquiert le statut de l’œuvre finie, l’ébauche en devenir contient l’œuvre terminée au même titre que les pièces fugitives ou rhapsodiques, études, feuillets d’albums, nocturnes, bagatelles et ballades dans le domaine musical.
Par ailleurs, l’estampe devient un moyen d’expression autonome grâce à de nouvelles techniques mises au point dans le domaine de la gravure sur bois, dans celui de la gravure en taille douce, et surtout, grâce à l’invention de la lithographie. Delacroix oriente l’estampe dans une voie plus inédite : l’estampe reproduit et imite volontairement un dessin, c’est à dire le mode d’expression le plus intime de l’artiste, qui s’y livre avec un abandon visible. Le premier terme de la section (sujets classiques) est organisé autour de la Sapho de Gros. Dans le second sont évoqués deux thèmes : celui de Faust, homme de raison emporté par son désir de maîtrise, de connaissance absolue mais aussi d’éternelle jeunesse, et celui des chevauchées fantastiques, où le héros, emporté au grand galop dans la nuit, a rendez-vous avec la mort (œuvres d’Eugène Delacroix, entre autres).
Au début du XIXe siècle, émerge un nouveau concept de virtuosité où tout semble converger pour assurer à l’individu-interprète la domination absolue de la technique la plus complexe et de l’expression la plus recherchée, domination appliquée, ici, à un instrument alors récent, le piano.
En effet, dans la première partie du XIXe siècle, les mutations rapides de la facture des pianos, qui se propagent à travers les capitales européennes, favorisent l’émergence du musicien virtuose. L’admiration que lui voue un public exalté en fait un virtuose de plus en plus « ex-centrique ».
Beethoven, Paganini et Liszt sont les figures emblématiques de ces nouveaux virtuoses. Au-delà de leurs compositions musicales propres, ils ont été perçus par de nombreux artistes de leur temps, par l’expression brillante et vive de leur génie, comme les artistes romantiques par excellence.
Les représentations des artistes romantiques, par les peintres et sculpteurs, vont bien au-delà de simples portraits. En peignant ou sculptant Paganini ou Liszt, ils se projettent eux-mêmes dans la figure du musicien virtuose.
Au milieu du XVIIIe siècle, les rapports de l’homme et de la nature se modifient profondément. Création divine, confiée à l’homme qui est censé la maîtriser tout en craignant d’autant plus ses courroux, tempêtes et déluges imprévisibles, la nature acquiert, chez les poètes d’abord puis chez les musiciens et les peintres, une dimension nouvelle mêlant intimité et terribilita. Elle devient alors refuge et reflet de soi, lieu de méditation et de contemplation où l’homme renoue, non plus avec l’infinie générosité de Dieu, mais avec les vertiges et méandres de son propre émoi, éveillés et bercés par les beautés de la nature. Cette nature douce compagne, miroir de l’âme, sait aussi inspirer étonnement et frayeur.
Les œuvres présentées dans cette dernière partie de l’exposition (celles notamment de Philippe-Jacques de Loutherbourg, de Carl Gustav Carus ou de Wright of Derby) retracent l’évolution du sentiment de la nature, la place de l’homme dans la nature, ses rapports avec le divin et le spirituel, entre 1770 et 1830, au travers de l’histoire de la peinture de paysage. Elles posent autant de jalons dans une anthologie à la fois parcellaire et complète : tous les genres du paysage sont présents, jusqu’à la peinture de marine, ainsi que toutes les périodes durant le demi-siècle envisagé. Les trois principales écoles, allemande, française, et anglaise, qui représentent les trois grands axes de la peinture romantique en Europe, et trois expressions de la sensibilité, sont évoquées, montrant leurs différences et leurs convergences.
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Aux sources du romantisme
À partir du XVIIIe siècle émerge l’idée nouvelle que par l’universalité du sentiment s’exprime, dans sa simplicité, la grandeur de la nature humaine. Dans la communion des larmes, l’exaltation du héros ou le spectacle de la nature s’épanouit le thème du voyage intérieur, qui est aussi un chemin vers la révélation d’un Bien naturel.