Crédits de l’exposition
- Commissaire : Éric de Chassey
- Commissaire associé : David Sanson
- Scénographie : Olivia Berthon, assistée de Georgiana Savuta et Julia de Cassin
- Conception graphique : Buro Fluo
- Conception lumière : Julia Kravtsova
Page découverte
Expositions temporaires du musée de la musique
Né sur les cendres froides de Mai 68 et de la période hippie, dans un contexte de crise économique et de fin des idéologies, le punk est un mouvement aussi complexe que fondamental, enfant illégitime de Dada, de Fluxus et du situationnisme.
Europunk présente les créations visuelles de la vague punk apparue dans la seconde moitié des années 1970 au Royaume-Uni et en France, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Italie, aux Pays-Bas, en Scandinavie ou en Espagne. Mettant en évidence les personnalités et les artistes à l’origine du mouvement, comme le groupe Bazooka ou Jamie Reid, l’exposition rassemble également des œuvres anonymes collectées à travers l’Europe. En images et en musique, elle veut aussi témoigner de l’énergie inédite de cette révolution sans cause, ambiguë, chaotique et radicale.
Les punks rejetaient l’art mais voulaient changer le monde avec chacune des images qu’ils créaient. Les quelque 500 objets présentés ici n’ont pas été retenus parce qu’ils auraient été plaisants ou intéressants dans le seul contexte punk, mais toujours parce qu’ils conservent quelque chose de l’urgence qui avait présidé à leur création – et donc une sorte de beauté, fût-elle paradoxale.
Fanzines, affiches, flyers, tracts, pochettes de disques, vêtements, plus de 500 œuvres rendent compte de l’incroyable qualité et de la vitalité de ces modes alternatifs de production artistique. EUROPUNK entend souligner combien la contre-culture punk a pu incarner à la fois le désir de faire table rase du passé et un renouveau culturel profond.
Cette exposition, initiée et présentée à l’Académie de France à Rome-Villa Médicis, puis au Musée d’Art contemporain de Genève et au BPS 22 à Charleroi, est reprise à la Cité de la Musique dans une forme renouvelée où le contenu musical et audiovisuel est fortement développé.
Les Sex Pistols naissent lorsque Malcolm McLaren recrute John Lydon (alias Johnny Rotten, « Le Pourri ») pour devenir le chanteur du groupe The Strand dont il est le manager : Steve Jones (guitare), Paul Cook (batterie) et Glen Matlock (basse, remplacé en 1977 par John Simon Ritchie, alias Sid Vicious). Lorsqu’ils commencent à se produire sur les scènes de Londres, en 1975-1976, il apparaît aussitôt que l’impact des Sex Pistols n’est pas seulement musical, mais aussi visuel. C’est Malcolm McLaren qui imagine les images qu’ils arborent ou qui les entourent, travaillant avec sa compagne Vivienne Westwood pour concevoir leurs vêtements, et avec Jamie Reid, un ami rencontré aux Beaux-arts qu’il a engagé comme graphiste.
Les apparitions télévisuelles des Sex Pistols, à partir d’août 1976, diffusent pour la première fois auprès d’un large public ce spectacle de la violence par lequel s’est constituée une grande partie des codes esthétiques propres au mouvement punk. Cette iconographie provocatrice, mise en forme avec une inventivité remarquable, frappe les yeux et les esprits au-delà de la brève existence du groupe, qui explose dès janvier 1978 au terme d’une chaotique tournée aux États-Unis.
Formé vers 1974, le groupe français Bazooka est l’un des seuls équivalents durables à la puissance de la culture visuelle des Sex Pistols. Il est constitué par des élèves de l’École des Beaux-Arts de Paris, Olivia Clavel, Philippe Renault (Lulu Larsen), Christian Chapiron (Kiki Picasso), Jean-Louis Dupré (Loulou Picasso), Bernard Vidal, rejoints par Philippe Bailly (Ti5-Dur) et Jean Rouzaud. Au lieu de jouer de la musique, le groupe joue des arts visuels dans un cadre de production qui ne s’apparente à la bande dessinée que pour mieux en casser les codes.
Dans une volonté de confusion politique à but provocateur, Bazooka s’engage dans une prise de pouvoir des médias. En 1977, le groupe occupe et parasite les pages du quotidien Libération. Il publie également ses propres magazines, signés Bazooka Production, en particulier Bulletin périodique et Un regard moderne. Il réalise aussi des projets plus ponctuels – affiches, couvertures de livre ou pochettes de disque, notamment pour le très influent label Skydog. En 1979, le générique de l’émission de télévision Chorus est l’une des dernières créations du groupe, dont les membres travaillent aujourd’hui individuellement.
Force artistique radicale, le punk constitue une approche révolutionnaire des images. Son principe essentiel, c’est l’urgence. Et son mot d’ordre, « Do it yourself », sonne comme une injonction libératrice. Ses images sont faites pour être diffusées le plus largement possible, avec tous les moyens disponibles, faisant fi des canons esthétiques, des exigences techniques, des savoir-faire académiques, des attentes de tel ou tel public. Ceci explique le recours massif à la photocopieuse, à la polycopie et au pochoir.
Tant par l’utilisation de nouveaux moyens de production que par le renouveau des langages graphiques et visuels, ces modes d’expression, élaborés sans souci des conventions de mise en page, de ligne éditoriale et d’éventuelles censures, deviennent un point de ralliement, sur le modèle établi à Londres par le fanzine Sniffin’ Glue de Mark Perry. Ce phénomène se retrouve dans l’habillement et les choix vestimentaires : la récupération et l’inventivité s’y mêlent sans entrave.
La régression est une des stratégies essentielles du punk, notamment parce qu’elle comporte un fort élément de provocation. Depuis la fin des années 1960, la libération des mœurs s’est accompagnée d’une volonté de liberté d’expression qui oblige les punks à aller toujours plus loin dans la surenchère. Cette violence gratuite, visuelle et verbale, entraînera d’ailleurs l’interdiction d’un certain nombre de créations punk, à une époque où la censure vient de l’extérieur et non des créateurs eux-mêmes.
L’esthétique est négative et passe par la mise en chaos des formes. Les symboles nazis, la pornographie, voire la scatologie sont autant d’armes contre l’ordre établi. Comme l’est aussi la référence à un bestiaire répugnant et hostile : rats, cafards, punaises... Les codes du dessin et de la bande dessinée sont subvertis au nom d’un expressionnisme infantilisant. Les corps et les visages font également l’objet d’une attaque systématique, qui ne les considère que sous l’aspect de la dérision ou du travestissement. Comme le proclame X-Ray Spex, « le monde est devenu fluorescent ».
Désillusion à l’égard des prétentions révolutionnaires, apologie de la violence, fascination pour le terrorisme, compromission ou radicalisation : le punk se construit sur des postures politiques contradictoires, quand il ne se contente pas d’arborer logos et signes de toutes provenances. Dès 1976 cependant, les morceaux emblématiques de Clash, comme « White Riot », adoptent un contenu ouvertement politique. Mais il faut attendre 1977-1978 pour qu’une imagerie punk solidement engagée à l’extrême-gauche puisse devenir visuellement explicite, chez eux et chez d’autres.
Le groupe Crass, dénonçant Clash comme vendu au capital, construit toute son activité sur l’engagement politique et social. Il fonctionne comme un collectif, dont l’imagerie est confiée à Gee Vaucher. Son logo combine tous les symboles de l’oppression, au nom d’un message anarchiste. Son esthétique inspire à partir de la fin de 1978 le collectif hollandais Raket, dont le groupe Rondos est l’émanation la plus visible. Se servant des textes et des images comme autant d’instruments de propagande, Clash, Crass et Raket, avec de fortes différences, veulent changer la société et non pas crier « No future ».
Dès 1976-1977, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, le punk est également nommé New Wave. Une remise en ordre des formes et des images coexiste ainsi dès l’origine avec l’esthétique du chaos, qui va se généraliser au fur et à mesure que le mouvement punk constate sa récupération commerciale.
Certains créateurs punks, comme Peter Fischli, excellent à pratiquer un jeu d’équilibres contradictoires entre ces deux tendances, là où la plupart se retrouvent rapidement obligés de choisir de façon exclusive. La préservation des valeurs expérimentales va alors conduire, notamment dans les réalisations de Malcolm Garrett pour les Buzzcocks, à revisiter la période constructiviste, où la géométrie était porteuse d’utopie. Certains créateurs intègrent ainsi de plus en plus une dimension nostalgique qui signe la fin du mouvement punk, et dont les réalisations de Peter Saville pour Joy Division et le label Factory font office de manifestes.
BJEP [Belle Journée En Perspective] est un collectif de photographes réunissant Alain Bali, David Cosset et Jean-Luc Maby. Entre 1974 et 1982 leur production photographique a été essentiellement inspirée par les mouvements sociaux et culturels de l’époque. Leurs images sont publiées sous une signature unique, car une pratique collective de la photographie est possible sans division technique du travail et sans appropriation individuelle de sa paternité.
Dès 1977, à la suite de prises de vue sur la « sous culture » des gangs de rockers, BJEP tourne ses caméras sur l’émergence du mouvement punk, tant en France qu’en Angleterre, en vue de l’édition du livre I’m a Cliché (Édition de Nesle, Paris, 1979).
Pour l’exposition Europunk, BJEP a sélectionné parmi ses archives une cinquantaine de photos, témoignant de cette l’époque. Pour l’exposition Europunk, BJEP a sélectionné parmi ses archives une cinquantaine de photos, témoignant de cette l’époque.