Médiathèque / Exposition Espace Odyssée, les musiques spatiales depuis 1950 à la Philharmonie de Paris
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Expositions temporaires du musée de la musique
Espace Odyssée, les musiques spatiales depuis 1950
Exposition du 15 janvier au 5 septembre 2004 - Musée de la musique, Paris
Introduction
« On peut dire qu’à l’avenir la musique deviendra spatiale. Je crois que le mouvement des sons dans l’espace sera aussi important que la mélodie, l’harmonie, le rythme, la dynamique, le timbre », pressentait Karlheinz Stockhausen dès les années 1950.
Il ne faisait là que traduire le sentiment de son époque : concomitante des découvertes et avancées scientifiques, techniques et acoustiques, des enjeux esthétiques et philosophiques contemporains, la prise en compte de l’espace comme composante essentielle et première dans le travail de création est certainement l’un des apports les plus déterminants de la musique au cours des dernières décennies.
L’exposition Espace Odyssée nous invite à une exploration des liens que la musique entretien avec l’espace, tour à tour source d’inspiration et matériau de création.
La musique a affaire à toutes sortes d’espaces : espace de notation (partition, ordinateur), espace d’interprétation (ensembles, orchestres, haut-parleurs), espace de diffusion (salles de concert, opéras, postes de radio). Ces espaces sont ceux par lesquels la musique doit passer pour se faire entendre et sans lesquels elle n’aurait aucune forme. Ce sont ces espaces que nous allons explorer. Dans la seconde moitié du XXe siècle, leur fonction s’est modifiée et leur importance s’est accrue : l’espace orchestral s’est disloqué, l’architecture des salles de concert a cherché à matérialiser la temporalité musicale, les partitions sont devenues plus graphiques, on a tapissé les auditoriums de haut-parleurs, l’ordinateur est devenu un instrument de musique, la radio a plongé nos vies dans un espace sonore en grande partie imaginaire... Ces transformations se sont accompagnées d’une spatialisation de la musique elle-même, tant au niveau de la conception des œuvres que des mots et des gestes qu’on a construits autour d’elles. L’espace est ainsi devenu la principale métaphore de la musique savante et de la musique populaire.
La partition et l’organisation de l’orchestre sont les deux premiers espaces de la musique. La partition est un espace de signes notés sur des portées à interpréter. Ces signes renvoient à des gestes instrumentaux, des gestes d’interprétation qui font correspondre un son, un fait auditif à chacun d’entre eux. Au XXe siècle, de nombreux compositeurs ont inscrit sur leurs partitions des signes, des dessins qu’aucun code ne permet de référer à un geste instrumental ou à un son particulier. Ces partitions - graphiques et non plus notées - n’ont pas de signification musicale déterminée. C’est l’interprète qui la fournit, en imaginant à quels gestes ou à quels sons ils correspondent. Rarement entièrement dessinées, ces partitions sont pour la plupart mixtes, mêlant notes et dessins afin de laisser de temps à autre à l’interprète une liberté que la notation classique lui refuse. L’orchestre est un espace de sons à composer. À partir des années 1950, certains compositeurs vont se libérer du système classique de notations musicales et traduire graphiquement la dimension spatiale de leur musique. De façon concomitante, ils vont remettre en cause l’organisation frontale des groupes instrumentaux héritée de l’orchestre classique - le public face à la scène - et inventer des espaces orchestraux originaux, complexes, multipolaires.
L’exposition met en lumière l’opéra de Luigi Nono, Prometeo, opéra pour lequel Renzo Piano conçut une scénographie en 1984. Prometeo fut une expérience extraordinaire, l’espace était né avec et pour l’œuvre et faisait ainsi partie du même processus de création relate Renzo Piano qui conçut pour cet opéra de Luigi Nono, associant étroitement architecture et musique contemporaine, une sorte d’immense instrument de musique servant simultanément de scène, de décor, d’auditorium, et de caisse de résonance réverbérante. Cette arche en bois, matériau choisi pour la chaleur de son acoustique, a été installée la première fois lors de la Biennale de Venise de 1984 dans l’église San Lorenzo. Les spectateurs sont disposés sur plusieurs niveaux tandis que la scène est constituée de galeries qui courent sur trois niveaux, le long des parois internes. Le spectateur est associé à une écoute qui peut être tridimensionnelle, vectorielle, circulaire. Cette aire de spectacle et de perception en lévitation, flottant dans l’espace, répond au désir de Luigi Nono de créer une musique capable d’envelopper le spectateur, de lui inculquer une autre dimension, élargie à l’échelle du monde.
Les salles de concert construites dans la seconde moitié du XXe siècle témoignent de l’intérêt grandissant des compositeurs et des architectes pour l’espace où la musique est jouée. On découvre l’effet des formes architecturales sur la musique. Certains architectes vont jusqu’à concevoir leurs bâtiments comme des partitions afin d’incorporer à la pierre ou au béton le rythme et la fluidité du temps musical. La musique elle-même devient un lieu et se met, par un étrange détour, à ressembler aux architectures édifiées pour l’accueillir.
Le pavillon Philips, construit par Iannis Xenakis à la demande de Le Corbusier pour l’Exposition Universelle de 1958 à Bruxelles rend compte de cette évolution. Dans cet espace éphémère et avant-gardiste, la composition pour bande magnétique d’Edgar Varèse, Poème électronique, est diffusée sur 425 haut-parleurs. L’espace de diffusion du son n’est plus qu’un simple décor ; il devient acteur dans la création de l’œuvre. Iannis Xenakis poursuivra en 1978, avec le Diatope, sa réflexion amorcée au pavillon Philips Karlheinz Stockhausen pose à nouveau la question d’une architecture adaptée à la spatialisation de la musique. Il collabore avec l’architecte Fritz Bornemann, à la construction d’un auditorium pour l’Exposition universelle d’Osaka de 1970 La musique pour lui, est « un espace sphérique à la surface duquel sont disposés des haut-parleurs et au milieu duquel est suspendue une plate-forme acoustiquement perméable et transparente sur laquelle les auditeurs prennent place ».
Avec l’invention de la transmission radiophonique, l’unité de lieu de la musique disparaît. En plus d’être séparés de leur source, les sons se projettent simultanément dans une multitude de lieux. La radio a banalisé la musique dans nos vies quotidiennes. Elle en a fait un paysage sonore.
L’exposition interprète librement Imaginary Landscape IV pour douze postes de radio ondes courtes (1951) de John Cage. La réalisation de la partition originale requiert vingt-quatre opérateurs pour douze postes de radio, deux par poste (un pour le réglage du volume sonore, un pour la détermination de la fréquence). L’auditoire entend ce que les radios diffusent pendant le temps où l’œuvre est interprétée.
La musique se projette volontiers dans des espaces qu’elle transpose en paysages sonores ou en programme symphonique. Ces espaces (nature, ville) sont d’emblée bruyants et polyphoniques. Mais il est d’autres espaces dans lesquels la musique a cherché à s’incarner : les déserts, les aéroports, les étendues vides, les lieux de transit. Les compositeurs (Edgar Varèse, Brian Eno) qui les ont nommés n’ont pas cherché à représenter ces espaces, ils s’en sont servis pour faire de leur musique autre chose qu’un déroulement : un lieu où l’on passe et où l’on peut être saisi.
Les images de Franck Scheffer, sur la musique de Brian Eno, Music for Airports tentent de rendre visible cette musique de l’imperceptible et cherchent déjà à donner consistance et figure au lieu, ou, ce qui revient au même, à ouvrir en son sein des espaces de déambulation. Comme le dit Brian Eno lui-même : « On pourrait tout simplement utiliser la musique pour teinter l’environnement ». La vogue/vague de l’ambient music et l’écoute relaxante des chill out réactualisent le projet de Brian Eno, une musique conçue pour un espace, destinée à lui conférer une atmosphère, une tonalité, une musique qui prend possession de cet espace, que l’on entend sans écouter.
Dans ses Déserts créés au Théâtre des Champs Elysées à Paris le 2 Décembre 1954, Varèse a introduit, dans une partition instrumentale, pour la première fois dans l’histoire de la musique, trois séquences sonores construites sur bande magnétique. Les séquences enregistrées viennent interrompre les parties instrumentales. Les images de Bill Viola entrent en résonance avec les Déserts de Varèse dans une vidéo datant de 1994.
Bill Viola filme un désert accompagnant visuellement les parties orchestrales. Dans la vidéo, l’orchestre vient interrompre la bande magnétique.
Au milieu des années 1950, à Chicago, Newark (New Jersey) et Kingston (Jamaïque), émergent des courants musicaux regroupés plus tard sous le nom d’Afro-futurisme, autour d’artistes noirs, à l’instar de Sun Ra, George Clinton (fondateur des groupes Funkadelic et Parliament) et Lee Perry. Epris de science-fiction, de spiritualisme et de philosophie cosmique, ils insufflent au jazz, au funk et au dub une dimension interstellaire.
La musique noire américaine (et afro-jamaïcaine) devient une machine à explorer l’espace et le temps et destinée à ramener l’Afro-américain à son origine extra-terrestre, saturnienne ou Jupiterrienne. Sun Ra se proclame « ambassador to the emperor of the omniverse ».
Des musiciens comme Carl Craig, Mad Professor, Prince Jammy ou Antipop Consortium empruntent les voies de l’Afro-futurisme.
L’exposition consacre ses derniers espaces aux machines et à l’écran d’ordinateur. Les musiques électroniques ont transformé le laptop (l’ordinateur portable) en un instrument de musique au moment même où les compositeurs en faisaient un outil de synthèse, d’écriture et de spatialisation des sons.
Une exposition d’ordinateurs portables permet aux visiteurs de suivre certains morceaux programmés à l’avance grâce à des dispositifs spécifiques de visualisation des sons.
L’exposition nous projette dans l’espace CAPSULO où des œuvres de Pierre Boulez, Iannis Xenakis, Patrick Portella, Jean-Louis Clot, Jean-Claude Risset, et Elio Martusciello, sont diffusées en multipistes grâce au système Holophon (version 2) mis au point dans le studio du GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille).
Ce projet Holophon, initialisé au GMEM en 1996, est destiné à la spatialisation de multiples pistes sonores vers un système de diffusion multi-haut-parleurs. Le passage de la stéréophonie au son multicanal a complètement révolutionné la musique. La multiplication du nombre de sources (de deux à six avec le 5.1 à huit, voire à seize ou plus) transforme radicalement l’espace d’écoute. Il s’ouvre sur d’autres espaces sonores qui sont autant de nouvelles possibilités de composition pour les musiciens.
Dans cette capsule d’écoute, la musique se décompose en huit sources distinctes qui circulent d’un haut-parleur, empruntant toutes les trajectoires possibles. Ces déplacements sont visualisables sur l’écran qui sert d’interface au logiciel utilisé pour diriger les pistes sur les haut-parleurs.
Crédits de l’exposition
Commissaires : Emma Lavigne, conservateur au Musée de la musique, Cité de la musique ; Bastien Gallet, producteur à France Culture, rédacteur en chef de Musica Falsa
Scénographie : Dominique Gonzalez-Foerster, artiste ; Christophe Van Huffel, musicien
Design sonore : Christophe Van Huffel
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