Page découverte
AlaxIannis Xenakis
Carte d’identité de l’œuvre : Alax de Iannis Xenakis |
|
Genre | musique pour ensemble instrumental |
Commanditaire | la Westdeutsche Rundfunk de Cologne |
Composition | 1985 |
Création | le 15 septembre 1985 à Cologne par l’Ensemble Modern, le Köln Ensemble et le Gruppe Neue Musik Hanns Eisler sous la direction de Ernest Bour |
Forme | un seul mouvement |
Instrumentation | trois ensembles, chacun constitué de : 1 flûte, 1 clarinette en sib, 2 cors en fa, 1 trombone ténor, 1 harpe, un percussionniste*, 1 violon et 2 violoncelles. * percussions par ensemble : - ensemble I : 2 bongos, 2 tumbas, 2 t-toms - ensemble II : 2 bongos, 3 t-toms, 2 timbales - ensemble III : 2 bongos, 3 t-toms, 2 grosses caisses |
Contexte de composition et de création
Au début des années 1950, les musiciens d’avant-garde s’intéressent de près aux possibilités qu’offre le sérialismeDans le prolongement du dodécaphonisme de la seconde école de Vienne, qui utilise les douze sons de l’échelle chromatique organisés selon une série, la musique sérielle élargit ce principe de la série aux autres paramètres du son : durée, timbre, intensité.. L’Allemagne en particulier fait figure de chef de file avec de nombreuses manifestations dévolues à la musique sérielle, ainsi que les cours d’été de Darmstadt qui, dès 1946, réunissent les plus grandes personnalités du moment (Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luigi Nono, Bruno Maderna...).
Suite à sa prise de positionEn 1955, il publie « La crise de la musique sérielle », un texte dans lequel il remet en cause les principes de la série. affirmée contre le sérialisme, Xenakis est dans un premier temps mal accueilli au sein de ces milieux musicaux avant-gardistes. Le 15 octobre 1955, le scandale que provoque la création de son œuvre Metastasis au Festival de Donaueschingen montre ouvertement l’hostilité rencontrée par le langage innovant et à contre-courant du compositeur : Je fus plusieurs années proscrit de toutes les manifestations de musique d’avant-garde d’Allemagne
, raconte-t-il« Entretien avec Mario Bois », Bulletin d’informations, n° 23, Boosey & Hawkes, 1966, p. 4. Cité dans Portrait(s) de Iannis Xenakis, sous la direction de François-Bernard Mâche, p. 31. quelques années plus tard.
Malgré ses détracteurs, Xenakis connaît par la suite un succès croissant et plusieurs de ses œuvres seront créées en Allemagne. Son opposition à la figure de Pierre Boulez ne l’empêchera pas non plus d’être invité à enseigner aux cours d’été de Darmstadt dans les années 1970.
Quelques années plus tard, la Westdeutsche Rundfunk (radiodiffusion ouest-allemande) de Cologne commande à Xenakis une œuvre pour trois formations instrumentales : l’Ensemble Modern (Francfort), le Köln Ensemble (Cologne) et le Gruppe Neue Musik Hanns Eisler (Leipzig) : le 15 septembre 1985, Alax est créé à Cologne sous la direction de Ernest Bour.
Langage musical
Guidé par son expérience d’architecte, Xenakis poursuit avec Alax ses recherches sur la spatialisation des sources sonores. L’œuvre est écrite pour trois ensembles instrumentaux de composition identique (sauf pour la percussion). Sur scène, ils sont disposés chacun au sommet d’un triangle équilatéral. Le compositeur indique que les ensembles peuvent à la rigueur
se placer en ligne. En tête de partition, Xenakis explique : ALAX : de « allax » = « par échanges », mot grec parent du mot latin « alius » ; transformations de plans, désordres, ordres, sonorités, structures (en-temps ou hors-temps). De même pour les échanges entre les positions des sources sonores (3 sommets – 3 ensembles) et les plans sonores.
Dans Alax, Xenakis travaille la matière sonore à la fois à l’échelle microscopique et macroscopique. Des séquences se succèdent par l’exploration d’un timbre, d’une texture orchestrale, et par le jeu entre ordre et désordre.
Spatialisation, textures et contrastes
La configuration scénique permet à Xenakis de jouer sur la spatialisation des sources et la texture du son afin de créer différents effets : effet de mouvement par la circulation des motifs d’un ensemble à l’autre, effets d’écho grâce à des entrées en canon très resserrées, effets de nappe mouvante dans les passages en glissandos accompagnés de trémolos...
Le compositeur travaille également sur les différents plans sonores, générant parfois une texture très dense : à la fin de l’œuvre par exemple, sur la masse ondulante des violoncelles, des vents et des harpes qui jouent des oscillations irrégulières et lentes
, les percussions donnent à entendre un « désordre » rythmique, tandis que les violons se détachent par la clarté mélodique et rythmique de leur motif. À ces différents plans, générant déjà une texture complexe, s’ajoutent les relais effectués entre les violonistes des trois ensembles, qui apportent au tout un effet de mouvement.
L’important travail réalisé sur le timbre et sur la variété des textures, nourrie par la souplesse des associations d’instruments (par famille, par ensemble ou encore chaque voix séparée), témoigne de la volonté de Xenakis de « sculpter » le son. C’est également un moyen de jouer avec les contrastes et les oppositions : opposition entre des passages très denses et d’autres plus épurés, opposition entre un contrepoint recherché et une écriture plus homorythmique, opposition entre les différents groupes instrumentaux successivement mis en relief…
Ordre et désordre alternent au fil de la pièce, passant de l’un à l’autre tantôt brusquement, tantôt de manière fluide, tout en conservant une unité et une cohérence complexes, parfois même difficilement perceptibles, sous-tendues par la théorie des criblesthéorie qui permet de générer des échelles de toutes sortes, aussi bien de hauteurs que de rythmes.
Auteure : Adèle Gornet