Page découverte
Grande Messe vénitienneAntonio Vivaldi
Carte d’identité de l’œuvre : Grande Messe vénitienne de Antonio Vivaldi |
|
Genre | musique religieuse |
Composition | possiblement vers 1715 pour le Credo, et fin des années 1720 pour le Gloria |
Forme | 6 mouvements : Kyrie RV 587 Gloria RV 589 Credo RV 591 Sanctus (reconstitué en contrafactumreconstitution des pièces en s’inspirant des techniques d’écriture de Vivaldi) Agnus Dei (reconstitué en contrafactum) |
Instrumentation | voix : solistes et chœur à quatre voix ensemble instrumental : trompette, hautbois, violon solo, violons 1 et 2, altos, violoncelles, basse continue |
Composition et reconstitution
Ordonné prêtre en 1703, Antonio Vivaldi exercera en tant que professeur de violon, puis maître de concert à l’Ospedale della PietàÀ l’origine, un ospedale (« hôpital ») est un lieu où l’on accueille et éduque les jeunes filles illégitimes, pauvres ou orphelines. À partir du XVIIe, la musique, souvent enseignée par des maîtres prestigieux, prend de plus en plus d’importance dans l’éducation de ces jeunes filles qui se produisent régulièrement en concert.. Le faible nombre d’œuvres (seuls un Kyrie, deux Gloria et un Credo) composées par Vivaldi sur l’ordinaire de la messeL’ordinaire de la messe est composé de cinq parties composées sur les paroles du Kyrie, du Gloria, du Credo, du Sanctus et de l’Agnus Dei. nous étant parvenu contraste fortement avec son métier et la destination religieuse de l’institution où il exerce ses fonctions de musicien. Nous ne connaissons pas de messe complète du compositeur. Cette « grande messe vénitienne » est donc composée de trois pièces autonomes du compositeur (le Kyrie RV 587, le Gloria RV 589 et le Credo RV 591), complétées par des pièces en contrafactum. Prenant pour modèle des œuvres existantes de Vivaldi, un véritable travail musicologique a été réalisé afin de compléter les parties manquantes de la messe, à savoir le Sanctus et l’Agnus Dei.
Langage musical
L’œuvre religieuse de Vivaldi est très diverse et s’inspire abondamment de ses opéras notamment pour la vocalité et l’expressivité, et de ses œuvres instrumentales profanes comme les concertos pour la virtuosité instrumentale.
Le Kyrie RV 587, le Gloria RV 589 et le Credo RV 591 adoptent une écriture dans un style assez traditionnel, plutôt inhabituel chez le compositeur. Les chœurs sont homorythmiquesToutes les voix chantent sur le même rythme. pour une bonne compréhension du texte. Vivaldi fait appel à la polychoralité, dans la grande tradition développée en particulier à la basilique Saint-Marc de Venise par Adrian Willaert (vers 1490-1562) et poursuivie par Andrea Gabrieli (1533-1585) et son neveu Giovanni Gabrieli (1554~1557-1612) : plusieurs chœurs sont disposés aux différentes tribunes de la basilique et se répondent de manière spatialisée.
Signe de la porosité entre les genres, la fugue finale du Kyrie RV 587 est directement issue du deuxième mouvement du Concerto madrigalesco RV 129. Ces passerelles et emprunts entre les œuvres du compositeur sont fréquents.
Le Gloria et le Kyrie mettent en valeur les voix de femmes : tantôt elles alternent avec les chœurs, tantôt elles sont en duo avec un instrument comme dans le Domine Deus, Rex cœlestis du Gloria où une soprano dialogue avec un violon ou un hautbois. L’élégance de la ligne vocale se retrouve dans les opéras du compositeur. Enfin, Vivaldi utilise fréquemment l’harmonie pour renforcer l’expression, comme pour le début du Kyrie RV 587 qui est une réécriture de l’ouverture du Magnificat RV 610a ou le début du Gratias agimus tibi issu du Gloria RV 589. Le compositeur y suspend le temps et fait lentement évoluer l’harmonie dans une succession de tensions et de détentes éloquentes.
Zoom sur le Credo RV 591
Vivaldi compose ce Credo en s’inscrivant dans la tradition, mais en laissant apparaître l’originalité de l’écriture instrumentale et harmonique qu’il développe notamment dans ses concertos.
1. Credo in unum deum
Le mouvement débute par une courte introduction instrumentale. L’écriture est particulière : les violons, à l’unisson, alternent entre deux motifs — des notes répétées en doubles croches et des bariolages et arpèges en croches — tandis que la basse, doublée à l’octave par les altos, joue un perpetuum mobilemouvement perpétuel, flux continu de notes de croches. Cet ensemble concourt à créer une atmosphère d’urgence.
Sur cette texture instrumentale, le chœur énonce le texte dans une écriture syllabique et en homorythmie parfaite, avec un grand souci de la prosodie. L’attention est ainsi portée sur la compréhension parfaite du texte par le public.
Texte et traduction
Credo in unum Deum.
Patrem omnipotentem,
factorem caeli et terrae,
visibilium omnium et invisibilium.
Et in unum Dominum
Jesum Christum,
Filium Dei unigenitum,
Et ex Patre natum ante omnia saecula.
Deum de Deo, lumen de lumine,
Deum verum de Deo vero.
Genitum, non factum,
consubstantialem Patri :
per quem omnia facta sunt.
Qui propter nos homines
et propter nostram salutem
descendit de caelis.
Je crois en un seul Dieu,
le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l’univers visible et invisible.
Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ,
le Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles :
il est Dieu, né de Dieu,
lumière, née de la lumière,
vrai Dieu, né du vrai Dieu,
engendré, non pas créé,
de même nature que le Père ;
et par lui tout a été fait.
Pour nous les hommes,
et pour notre salut,
il descendit du ciel.
2. Et incarnatus est
Ce mouvement, indiqué adagio, rompt avec l’agitation du Credo in unum deum. Le temps est suspendu, avec la disparition des brèves valeurs rythmiques aux instruments, et est étiré plus encore lors du mélismeContrairement à l’écriture syllabique où chaque syllabe du texte correspond à une seule note, un mélisme fait entendre une courbe mélodique de plusieurs notes sur une même syllabe. sur le mot « factus ». Le compositeur cherche à faire entendre le mystère divin. Cette suspension rythmique et la simplicité de la ligne mélodique portent l’attention de l’auditeur vers la lente évolution de l’harmonie, langage que Vivaldi utilise souvent dans les mouvements lents de ses concertos.
Texte et traduction
Et incarnatus est de Spiritu Sancto
ex Maria Virgine :
Et homo factus est.
Par l’Esprit Saint,
il a pris chair de la Vierge Marie,
et s’est fait homme.
3. Crucifixus
Centre de tension du Credo, le Crucifixus met en musique la souffrance du Christ. Cette douleur est présentée par divers procédés rhétoriques :
- le motif initial en forme de croix, technique qui se retrouve dans la plupart des Crucifixus de cette époque, comme dans le Crucifixus a 8 d’Antonio Lotti ;
- écriture de la basse entrecoupée de silences, rompant avec la plénitude sonore de l’Et incarnatus est ;
- intervalles particulièrement expressifs comme la quarte diminuée ;
- lignes chromatiques descendantes pour symboliser la mise au tombeau sur les mots « passus et sepultus est ».
Texte et traduction
Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato :
passus, et sepultus est.
Crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
il souffrit sa passion et fut mis au tombeau.
4. Et resurrexit
Le dernier mouvement renoue avec le matériau et l’écriture du début de la pièce, l’agitation accompagnant l’annonce de la résurrection du Christ. L’attention portée au texte est tout aussi grande que dans les mouvements précédents, comme en témoignent les harmonies plus sombres accompagnant les mots « et mortuos ». Vivaldi respecte la tradition en adoptant une écriture fuguéeLes voix entrent en imitation les unes après les autres. pour les derniers mots du texte, superposant un sujet de style déclamé sur les mots « Et vitam venturi seculi » et un sujet en forme de croix sur le mot « Amen ».
Texte et traduction
Et resurrexit tertia die,
secundum scripturas.
Et ascendit in caelum :
sedet ad dexteram Patris.
Et iterum venturus est
cum gloria judicare vivos et mortuos :
Cujus regni non erit finis.
Et in Spiritum sanctum Dominum,
et vivificantem :
Qui ex Patre, Filioque procedit.
Qui cum Patre, et Filio simul adoratur,
et conglorificatur :
Qui locutus est per Prophetas.
Et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam.
Confiteor unum baptisma
in remissionem peccatorum.
Et expecto resurrectionem mortuorum
Et vitam venturi saeculi.
Amen.
Il ressuscita le troisième jour,
conformément aux Écritures,
et il monta au ciel ;
il est assis à la droite du Père.
Il reviendra dans la gloire,
pour juger les vivants et les morts ;
et son règne n’aura pas de fin.
Je crois en l’Esprit Saint,
qui est Seigneur et qui donne la vie ;
il procède du Père et du Fils ;
avec le Père et le Fils,
il reçoit même adoration et même gloire ;
il a parlé par les prophètes.
Je crois en l’Église, une, sainte,
catholique et apostolique.
Je reconnais un seul baptême
pour le pardon des péchés.
J’attends la résurrection des morts,
et la vie du monde à venir.
Amen.
Auteure : Adèle Gornet