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Le pan / steeldrum de Trinité-et-Tobago
Pan et steelband
Fierté de Trinité-et-Tobago (Caraïbes), le pan en a été proclamé « instrument national ». Appelé aussi steelpan ou steeldrum, il présente l’originalité d’être fabriqué à partir d’un ou plusieurs bidons de pétrole dont on joue à l’aide de baguettes aux embouts de caoutchouc.
Il existe une grande variété de pans (tenor, guitar, cello, bass...), accordés sur des hauteurs définies et distingués par leurs tessitures ou répartitions de notes, ce qui permet une orchestration de type symphonique. Un ensemble de pans, généralement accompagné d’une section rythmique (batterie, congas, ironLittéralement « fer », c’est un idiophone fait d’un tambour de frein de camion, martelé avec des baguettes en fer., scratcherLittéralement « gratteur », c’est un idiophone, en forme de grosse râpe métallique cylindrique, raclée avec un peigne en fer....) est appelé un steelband. Il peut être conventional, avec toute la gamme chromatique et de un à douze bidons par musicien, ou traditional (appelé aussi pan around the neck), chacun n’ayant qu’un bidon, ce qui restreint le nombre de notes.
Le pan a émergé des pratiques polyrythmiques accompagnant les chants responsoriauxProcédé d’exécution faisant alterner un soliste et un chœur. des carnavals de la communauté urbanisée d’origine africaine. On peut situer son processus d’invention dans les années 1930-1940, mais les pans restent en constante évolution.
Genèse du pan
La généralisation des instruments métalliques
On explique souvent l’invention du pan par « l’interdiction des tambours » en 1884. Il convient pourtant de modérer l’impact de cette loi, qui échoua à interdire sur les voies publiques les pratiques visées : processions, danses, stickfighting« Combat de bâton ». Comme la capoeira au Brésil, il s’agit d’une danse pugilistique, c’est à dire d’une joute dansée. Les deux rivaux s’affrontent avec des bâtons sur une musique polyrythmique et des chants responsoriaux. et « tout instrument bruyant ». La crainte de confiscation des tambours par la police joua peut-être un rôle dans leur déclin pendant le carnaval, mais surtout, les choix esthétiques favorisaient de longue date les instruments métalliques. Ce changement musical coïncida également avec les bouleversements sociaux dus à l’urbanisation massive de cette époque.
Après une période transitoire où l’on mêle tamboo-bamboosGros bambous pilonnés et percutés en une polyrythmie agrémentée d’instruments de récupération métalliques, accompagnant des chants responsoriaux. et pièces métalliques, des orchestres composés entièrement d’objets de récupération (râpes frottées, boîtes, bidons percutés...) apparaissent à la fin des années 1930.
Vers un instrument mélodique
L’utilisation des oppositions de hauteurs sonores sur une même pièce de métal dans la polyrythmie pousse les musiciens à dissocier un nombre croissant de hauteurs toujours plus précises. Des passionnés se spécialisent dans la fabrication des pans, ce qui permet bientôt l’interprétation de mélodies. Dans les années 1940, les musiciens font sensation en reprenant des calypsos, des bomp tuneMorceau non calypso, éventuellement étranger, créolisé par une orchestration et un rythme de calypso. (par exemple When the Saints) ou des pièces latines.
Étapes de la fabrication
La fabrication des pans nécessite aujourd’hui un long apprentissage. Le tunerLittéralement, « accordeur », c’est ainsi que l’on nomme le facteur et accordeur de pans. emboutit le disque supérieur du bidon avec une masse, d’autant plus profondément que le pan doit être aigu.
On trace ensuite au feutre, puis aux marteau et burin, le contour des notes. Plus leur surface est grande, plus elles sont graves. Chaque note est ensuite légèrement bombée de façon convexe. On doit alors couper le tronc du cylindre en fonction de la taille que l’on veut laisser à la caisse de résonance. Le pan est ensuite brûlé, ce qui développe considérablement ses propriétés sonores, avant l’accordage, au marteau. Pour le protéger de la rouille et mieux maintenir l’accordage, on peut le nickeler et / ou le chromer par électrolyse, ce qui réclame un ultime réajustement des hauteurs (le fine-tuning) souvent à l’aide d’appareils électroniques, tout comme les accordages d’entretien ultérieurs.
Apprentissage
Le novice débute généralement en orchestre, en mémorisant le répertoire par imitation visuelle et auditive. Il commence soit dans un groupe de débutants (enfants ou adolescents), soit directement dans un groupe expérimenté, où on l’écarte alors des instruments les plus difficiles. Seuls quelques prestigieux steelbands exigent d’emblée un haut niveau de compétence pour accueillir les nouveaux joueurs. C’est l’observation et l’expérience qui apporteront au panisteDu trinidadien pannist signifiant « musicien de pan », on utilise aussi parfois le terme panman pour désigner le joueur de pan. les clefs de son art.
Répertoire
À la saison du carnaval, les steelbands se préparent pour une grande compétition nationale, le Panorama : des orchestres d’une centaine de personnes interprètent à un tempo très rapide l’arrangement d’un calypso, enrichi de nombreuses variations mélodiques et harmoniques. C’est l’événement phare des steelbands.
Lors du défilé du carnaval, les steelbands jouent sur des chars entourés par la foule. La musique ne doit donc pas s’arrêter et ils répètent en boucle le couplet et le refrain d’un calypso, d’une socaChanson moderne sur un rythme proche du calypso, à la ligne de basse très mélodique, et souvent accompagnée d’instruments électroniques. ou d’un bomp tune. Les panistes peuvent jouer le même morceau pendant des heures et l’intérêt de la musique est alors essentiellement rythmique : les percussions non mélodiques, plus nombreuses dans ce contexte, fournissent une polyrythmieMusique fondée sur l’enchevêtrement de plusieurs figures rythmiques – jouées sur des instruments à hauteurs non définies – qui s’inscrivent dans la même période métrique mais dont les accents sont décalés. laissant une large place à l’improvisation.
Le reste de l’année, lors de concerts ou d’autres compétitions, les steelbands reprennent – avec ou sans variations – des calypsos, des socas, des chutney socas – morceaux influencés par la musique de films indiens – ou des bomp tune. Ils peuvent aussi reprendre des morceaux étrangers, du jazz et de la musique classique.
Auteure : Aurélie Helmlinger