Auteur : Vincent Bessières
Bill Holman (1927-)
La carrière de Bill Holman est, à bien des égards, emblématique des musiciens de la Côte Ouest des États-Unis. Natif de Californie, il y a mené l’essentiel de sa carrière, en tant qu’instrumentiste et comme arrangeur, écrivant pour les meilleures grandes formations et mettant ses talents au service de Hollywood. Pour autant, au plan stylistique, Holman est loin d’incarner un parangon du jazz West Coast tel que le définirent certains de ses acteurs, teinté de cool, avide d’expérimentations modernistes influencées par un savoir classique parfois pesant. Bien que proches d’eux, Bill Holman a toujours défendu – et manifesté dans son écriture – une musique qui, pour être sophistiquée, dense et conçue avec un admirable souci de la forme, ne négligeait jamais ni le swing, ni la limpidité d’architecture, ni encore la place cardinale faites aux solistes.
Dans l’orchestre de Stan Kenton
Né le 21 mai 1927 à Olive (en Californie), débutant par la clarinette à l’adolescence, adoptant le saxophone ténor à l’âge de 15 ans, Bill Holman décide de devenir musicien, après un service militaire dans la Marine et avoir entamé des études d’ingénieur. Inscrit au Westlake College of Music de Los Angeles, il étudie pendant trois ans avec Dave Robertson et Alfred Sendrey et prend des leçons de composition en privé avec Russ Garcia et de saxophone avec Lloyd Reese. Ses premiers engagements professionnels d’importance sont l’orchestre d'Ike Carpenter (1949) et Charlie Barnet (1951) pour lequel il écrit ses premiers arrangements.
C’est en entrant dans les rangs de l’orchestre de Stan Kenton en 1952 grâce à Gene Roland que le talent de Bill Holman apparaît au grand jour. Si elle s’inscrit initialement dans les ambitions formelles du chef, comme l’illustre son Invention for Guitar and Trumpet (interprétée par Sal Salvador et Maynard Ferguson), son écriture s’écarte rapidement des tentatives concertantes du progressive jazz défendu jusque-là par les arrangeurs précédents de Kenton (Pete Rugolo, Bob Graettinger, Bill Russo, etc.) férus de Stravinski et de Bartók. De tous ceux qui formaient le « pool » de collaborateurs de Stan Kenton, Bill Holman sera le plus « traditionnel » – mais aussi le préféré des musiciens ! Les partitions qu’il signe à cette époque (notamment une série de standards destinés à accueillir en tournée Charlie Parker et repris sur disque avec Lee Konitz en soliste) sont exemplaires de son ambition de concilier la tradition héritée des big bands d’avant-guerre et une élaboration dans la mise en voix (dont témoigne un usage abondant du contrepoint) qui leur donne une exceptionnelle clarté architecturale. Il est en cela proche d’un Gerry Mulligan qui le sollicitera d’ailleurs pour son Concert Jazz Band en 1960.
Une activité diversifiée
Parallèlement à sa production pour Stan Kenton (si abondante qu’entre eux les musiciens se réfèrent à cette version de l’orchestre comme étant le « Bill Holman band »), Bill Holman est actif comme instrumentiste dans les orchestres de Shorty Rogers (1953) et Shelly Manne (qui enregistre Quartet, A Suite in Four Parts en 1956), le Lighthouse All-Star et dirige avec le batteur Mel Lewis en 1958 un quintet qui tente de rivaliser avec les combos de la Côte Est. Il est au cœur de l’intense activité musicale qui anime Los Angeles au milieu des années 1950. Ses partitions font le bonheur des chefs d’orchestre qui, tels Maynard Ferguson ou Terry Gibbs, dirigent des big bands fermement ancrés dans le swing sans pour autant sombrer dans la nostalgie. Ses disques In a Jazz Orbit (1958) et Bill Holman’s Great Big Band (1960) sont considérés comme des références en la matière.
Progressivement, son activité s’oriente vers le travail de studio (il cesse définitivement de jouer du saxophone en 1966), composant pour le cinéma et la télévision, et arrangeant pour des chanteuses entourées d’une grande formation (Peggy Lee, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Anita O’Day, June Christy… jusqu’à Natalie Cole en 1991). Il ne rompt pas complètement avec le jazz toutefois, fournissant des partitions aux big bands dirigés alors par Benny Goodman (1964), Buddy Rich (1966), Woody Herman (Concerto for Herd, 1967), Louie Bellson, et même Count Basie (la totalité d’un album, I Told You So, en 1976) sans oublier Stan Kenton avec lequel il continue de collaborer périodiquement (pour le Mellophonium Band en 1960 ou le Neophonic Orchestra en 1965, par exemple).
Des enregistrements à succès
À partir de 1975, Bill Holman maintient lui-même pour l’amour de l’art un big band composé de vétérans de la West Coast qui répète régulièrement à Los Angeles. Il s’éloigne du strict travail d’arrangement au profit d’une œuvre de compositeur dont les créations et les interprétations se font généralement en Europe où il est régulièrement invité par des big bands comme le West Deutsche Rundfunk (de 1980 à 2002) qui enregistre The Third Stone en 1982, avec Jiggs Whigham et Mel Lewis), le SWR Big Band ou encore le Metropole Orchestra (entre 1995 et 2002, qui immortalise la suite Further Adventures). Il faut cependant attendre 1987 pour que Bill Holman enregistre à nouveau à la tête de son propre orchestre. A View from the Side (1995) marque le retour phonographique d’un compositeur au style d’une rare et précise assurance. Il précède l’exceptionnelle réussite de Brilliant Corners (1997), une relecture aussi lumineuse que personnelle d’un florilège de compositions de Thelonious Monk. Alors qu’à l'instar de son ami Bob Brookmeyer il est considéré comme un maître dans l’art de l’arrangement, régulièrement invité à dispenser son savoir, et que ses pièces sont rejouées comme des classiques, il a fait don en mai 2000 de près de 430 partitions originales au Smithsonian Institution et publie, cinq ans plus tard, un album réalisé en public qui prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe.