Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : octobre 2005)
Bill Frisell (1951-....)
Parmi tous les guitaristes à s’être imposés dans le jazz depuis Wes Montgomery et l’avènement du rock, Bill Frisell est probablement celui qui s’est le plus notablement distingué par la diversité de son timbre et sa capacité à englober l’ensemble des sonorités de guitare qui peuplent l’imaginaire musical étasunien. Improvisateur lyrique, doté d’une sensibilité mélodique unique, il opère, dans un style d’une grande cohérence aux vertus oniriques, une musique qui réhabilite le caractère métallique des cordes de son instrument, qu’il use ou non d’effets électroniques. Bien que formé à l’école du jazz, Bill Frisell doit autant (sinon plus) à la pedal steel guitar des musiciens country, au bottleneck des bluesmen, aux distorsions de Jimi Hendrix, aux instrumentistes frustres du folk et du rock’n’roll qui constituent les différents visages de la musique américaine.
De la country au jazz
Né le 18 mars 1951 à Baltimore (États-Unis), Bill Frisell a grandi à Denver, dans le Colorado, baigné par la musique country. Il étudie d’abord la clarinette, s’essaye à la guitare pour son amusement personnel et développe un intérêt pour le blues avant de s’intéresser au jazz. Au lycée, il côtoie de futurs membres de Earth Wind and Fire et se met à étudier sérieusement la musique. En 1971, il intègre la Berklee School of Music à Boston (Pat Metheny est l’un de ses condisciples) et par la suite, prend quelques leçons avec Jim Hall qui l’a fortement impressionné. Mais dès cette époque, le guitariste s’écarte d’une approche trop traditionnelle et s’intéresse à la possibilité d’utiliser le jazz comme le creuset pour fondre ses différentes affinités musicales. Il développe les premiers traits caractéristiques de son style, suffisamment pour qu’en 1978, au cours d’un long séjour en Belgique à l’invitation de Steve Houben, le producteur Manfred Eicher lui propose de réaliser un disque pour son label ECM. Pendant tout le début des années 1980, Frisell enregistrera pour la firme allemande (avec Arild Andersen, Jan Garbarek, Paul Motian, Eberhard Weber…) au point d’apparaître comme le guitariste « maison » d’ECM dont il semble, par bien des aspects, incarner une forme d’idéal esthétique.
Un artiste éclectique
À New York, où il vit de 1979 à 1989, l’originalité de ses conceptions, l’aboutissement de ses idées et sa capacité à s’intégrer dans des univers différents en font un musicien très en vue malgré sa discrétion notoire. Associé à l’avant-garde downtown du fait de ses collaborations avec John Zorn (album Naked City), Tim Berne ou Julius Hemphill, il apparaît aussi auprès du batteur Billy Hart et dans le Bass Desires de Marc Johnson, accompagne les chanteurs Marianne Faithfull et Elvin Costello, figure dans de nombreux projets du batteur Paul Motian dont il devient l’un des fidèles (notamment dans un trio prolifique avec Joe Lovano – premier disque en 1985). Enregistrant régulièrement pour le label Nonesuch, il dirige un groupe constitué de Hank Roberts (violoncelle), Kermit Driscoll (contrebasse) et Joey Baron (batterie) avec lesquels il impose ses talents de compositeur. En 1992, il signe l’album Have a Little Faith dont le répertoire est emprunté à Aaron Copland, Muddy Waters, Bob Dylan, John Hiatt, Sonny Rollins, Stephen Foster, Charles Ives, Victor Young, Madonna et John Philip Sousa. Un éclectisme qui embrasse la musique américaine dans son histoire et ses formes populaires, reflet d’un musicien qui refuse les frontières entre les genres et ajoute banjo et ukulele à ses guitares pour mieux couvrir le champ de ses références.
Exploration du répertoire américain
En 1995 paraissent deux disques regroupant la musique que Bill Frisell a composée pour trois films muets de Buster Keaton. Ils marquent aussi la fin d’une collaboration avec Driscoll et Baron. L’année suivante, Frisell forme un quartet avec Ron Miles (trompette), Eyvind Kang (violon) et Curtis Fowlkes (trombone) à l’instrumentation singulière. Ce changement marque aussi une nouvelle orientation musicale, moins tournée vers le jazz que vers le patrimoine populaire en général. Frisell enregistre en 1997 à Nashville, capitale de la country & western music, et collabore par la suite avec des musiciens habitués au circuit du rock. Explorant un répertoire dont il est l’auteur quasi exclusif, réalisant des albums au déroulé de plus en plus cinématographique, il aboutit en 2000 à la publication d’un album en solo, Ghost Town.
Marqué par un disque en trio avec Elvin Jones et Dave Holland en 2001, Bill Frisell poursuit son voyage au long cours dans les méandres du fleuve des chansons qui peuplent son imaginaire personnel, entre racines profondes (album The Willies sur des classiques du bluegrass), tentations cosmopolites (rencontres avec le Malien Boubacar Traore ; album The Intercontinentals avec le Brésilien Vinicius Cantuaria…) et cet insatiable curiosité nourrie de nostalgie pour les différents âges d’or de la musique américaine devenue, autant que sa sonorité, une marque de fabrique.