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Peer Gynt, musique de scène op. 23Edvard Grieg
Carte d’identité de l’œuvre : Peer Gynt, musique de scène op. 23 de Edvard Grieg |
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Genre | musique de scène pour la pièce éponyme de Henrik Ibsen |
Librettiste | Henrik Ibsen |
Langue du livret | norvégien |
Composition | de 1874 à 1876 |
Création | le 24 février 1876 au Christiana Theatre, à Oslo |
Forme | musique de scène divisée en cinq actes et 23 numéros (selon la partition complète éditée par Peters en 1908) |
Instrumentation | voix : un récitant, solistes, et un chœur orchestre : - bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons - cuivres : 4 cors, 2 trompettes, 2 trombones, 1 trombone basse, 1 tuba - percussions : timbales, cymbales, triangle, grosse caisse, caisse claire, tambourin, xylophone, cloches de vache - claviers : 1 piano, 1 orgue - cordes pincées : 1 harpe - cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Suites orchestrales n° 1 op. 46 et n° 2 op. 55 | |
Date de publication | 1888 (Suite n° 1) et 1891 (Suite n° 2) |
Forme | Suite n° 1 : 1. Au matin 2. La Mort d’Åase 3. Danse d’Anitra 4. Dans l’antre du roi de la montagne Suite n° 2 : 1. Enlèvement de la mariée 2. Danse arabe 3. Retour de Peer Gynt 4. Chanson de Solveig |
Argument
Drame philosophique, Peer Gynt est un voyage initiatique narrant les aventures d’un anti-héros en quête de rêve et d’identité. Oscillant sans cesse entre courage et lâcheté, Peer Gynt surmonte tant bien que mal les obstacles qu’il rencontre, le plus souvent par la fuite et le mensonge.
Acte 1. Fils de paysan, Peer Gynt, un jeune homme de vingt ans plein d’ambition, vit pauvrement avec sa mère Åase. Au village, on célèbre au son des violons les noces de la jeune et séduisante Ingrid.
Acte 2. Le jour du mariage, Peer Gynt enlève Ingrid et s’enfuit avec elle dans les bois. Mais très vite, il se lasse d’elle et finit par l’abandonner. Fuyant son village natal, il rencontre l’une des filles du roi de la montagne, qui l’entraîne dans le monde des trolls. Lorsqu’il comprend qu’il doit renoncer à sa condition humaine s’il veut l’épouser, Peer Gynt s’enfuit à nouveau.
Acte 3. Le jeune homme trouve refuge et réconfort auprès de la douce Solveig, mais finit par renoncer à son amour. Après être retourné auprès de sa mère, Åase, et avoir assisté à sa mort, il quitte la Norvège.
Acte 4. Vingt ans ont passé. Peer Gynt a échoué en Orient, où il est devenu un riche marchand d’esclaves. Après avoir perdu sa fortune dans le naufrage d’un de ses navires, il est accueilli en tant que prophète dans une tribu de bédouins du désert, dépouillé de ses derniers biens par la belle Anitra devenue sa maîtresse, et finit « empereur des fous » dans un asile au Caire.
Acte 5. Bien des années se sont écoulées, et c’est un vieillard qui revient désormais en Norvège. Là, Peer Gynt retrouve Solveig, qui n’a jamais cessé de l’attendre. Alors que le vieil homme expire dans ses bras, Solveig le console en lui annonçant qu’il a enfin terminé son voyage et trouvé le sens de sa vie.
Contexte de composition et de création
C’est en 1867 que l’auteur norvégien Henrik Ibsen écrit son drame poétique Peer Gynt. En 1874, il formule le souhait de le porter à la scène sous la forme d’une pièce en musique. Impressionné par le talent de Grieg qu’il a eu l’occasion de côtoyer à Rome quelques années plus tôt, l’écrivain propose alors au compositeur norvégien de mettre en musique son drame. Grieg accepte aussitôt. Ibsen lui fournit quelques indications sur la manière dont il envisage lui-même le matériau musical mais s’en remet entièrement au jugement du compositeur et lui laisse totale liberté quant à la réalisation du projet. Il lui fait parvenir un manuscrit de son drame arrangé pour la scène, dont le texte sera tantôt déclamé, tantôt scandé ou chanté.
Grieg avance lentement sur la partition, dont l’écriture s’avère plus difficileDans une lettre au dramaturge Bjørnstjerne Bjørnson, il écrit qu’il doit composer sur le plus antimusical de tous les sujets
, au point qu’il finit par se désintéresser quelque peu du projet : Je m’acharne encore sur la musique de Peer Gynt et cela ne m’intéresse pas
, confie-t-il à un ami. que prévu. Il achève malgré tout la partition en juillet 1875, et les répétitions commencent en septembre. Préoccupé par le décès de ses deux parents en l’espace d’un mois seulement, Grieg ne vient pas à Oslo pour superviser les répétitions, ni même pour la première représentation de la pièce le 24 février 1876. L’œuvre est un réel succèsOn peut lire dans l’Aftenposten que la musique de Grieg était particulièrement efficace et merveilleusement adaptée aux diverses situations de la pièce
. Nul doute que l’apport musical ait ainsi grandement contribué au succès de la pièce. Au point que le critique allemand Edward Hanslick écrira, en 1891 : Il se pourrait bien qu’avant longtemps ce Peer Gynt d’Ibsen ne continue à vivre qu’à travers la musique de Grieg
. et sera donnée 36 fois au cours du printemps de la même année. Malheureusement, un tragique incident vient mettre un terme aux représentations : le 15 janvier 1877, un incendie se déclare dans le théâtre et consume l’ensemble des décors et costumes. Il faudra attendre quinze ans avant que Peer Gynt ne soit rejoué dans la ville d’Oslo.
Les suites pour orchestre
Après le succès retentissant de Peer Gynt sur scène, de nombreux arrangements pour piano de la partition voient le jour, destinés à être joués dans les salons. À l’occasion d’une reprise de la pièce à Copenhague en 1886, Grieg revoit certaines parties orchestrales et ajoute quatre nouvelles pièces (Procession de Noces op. 19 n° 2, et trois de ses Danses norvégiennes op. 35). En 1892, alors que Peer Gynt est rejoué pour la première fois à Oslo, le compositeur accepte d’ajouter encore une pièce supplémentaire. Mais surtout, Grieg a l’idée de réunir certains numéros en deux suites : la Suite n° 1 op. 46 (1888) puis la Suite n° 2 op. 55 (1891). Ces suites vont connaître un immense succès dans le monde entier, aussi bien dans leur version orchestrale que dans leur arrangement pour piano (réalisé par Grieg lui-même) ou pour d’autres formations instrumentales diverses et variées.
Langage musical
Grieg est un compositeur appartenant pleinement au romantisme du XIXe siècle : l’usage fréquent des progressions chromatiquesmouvements par demi-ton, les harmonies audacieuses, autant d’éléments qui ne sont pas sans rappeler le langage musical de Wagner et de ses successeurs. Cependant, il sait s’émanciper de cette musique germanique alors dominante à l’époque. Tandis que, dans toute l’Europe, des mouvements nationaux en quête de reconnaissance émergent rapidement, il conjugue merveilleusement la veine romantique avec l’éveil d’une musique à l’identité nationale. Le folklore occupe une place importante dans son œuvre, dans l’ensemble fortement imprégnée d’éléments populaires issus de la musique norvégienne.
Dans Peer Gynt, cet esprit populaire se traduit par une structure formelle et tonale relativement simple des pièces : le plus souvent répétition d’un unique thème (voire alternance de deux thèmes), et des modulations proches de la tonalité principale. Alors que la Chanson de Solveig est clairement revendiquée d’origine populaireSur une centaine de lieder que j’ai écrits, un seul, la Chanson de Solveig emprunte son thème au folklore.
, certaines pièces sont désignées par des termes que l’on retrouve fréquemment dans la musique scandinave (par exemple, le terme « mazurka » pour la Danse d’Anitra). Dans le premier acte, Grieg destine les danses du mariage à un violon du HardangerLe violon du Hardanger (hardingfele en norvégien) est un instrument privilégié du folklore, caractéristique des régions de l’ouest et du sud de la Norvège. À propos de la manière d’interpréter ces danses, Grieg écrit dans ses recommandations au chef d’orchestre Hennum : les deux danses doivent être jouées en accord parfait avec les traditions populaires, avec des accents rudes et des coups puissants, afin de rendre le tableau audible et authentique
., à jouer dans le plus pur esprit des danses populaires norvégiennes.
Focus sur Dans l’antre du roi de la montagne
Située au milieu de l’Acte 2 (n° 4 de la Suite n° 1), cette pièce correspond au moment où Peer Gynt a rejoint le monde des trolls et est conduit devant le roi de la montagne. Les trolls s’agitent autour du héros au rythme d’une danse indiquée « alla marcia », évoquant le hallingLe halling est une danse folklorique de Norvège, réalisée par les jeunes hommes lors de mariages ou autres fêtes. C’est une danse rapide, exécutée en solo, et qui comprend des figures acrobatiques. norvégien.
La pièce est construite sur un thème unique, découpé selon une forme en trois parties : une première partie (A), une réponse (B), et une reprise de la première (A’). D’abord énoncé aux violoncelles, contrebasses et bassons, le thème est ensuite repris une première fois par les violons, hautbois et clarinettes, puis une seconde fois par tout l’orchestre. Toute la pièce évolue selon le principe de l’accumulation orchestrale : chaque nouvelle occurrence du thème est prétexte à l’entrée d’instruments supplémentaires. À cela s’ajoute un crescendo progressif (la pièce commence pianissimo et se termine fortissimo), ainsi qu’une accélération du tempo à partir du tutti. Des broderies en doubles croches aux cordes puis aux bois évoquent les trolls déchaînés virevoltant autour de Peer Gynt. Le morceau se finit en apothéose sur un rythme endiablé, ponctué de vigoureux coups de percussions, tandis que le chœur de trolls crie « Tuez-le, ce fils de chrétien ! ».
Ce principe d’accumulation inspirera plusieurs compositeurs par la suite, notamment Maurice Ravel qui reprendra l’idée dans son fameux Bolero.
Auteure : Floriane Goubault