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Quatuor à cordes op. 76 n° 3 « Empereur »Joseph Haydn
Carte d’identité de l’œuvre : Quatuor à cordes op. 76 n° 3 « Empereur » de Joseph Haydn |
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Genre | musique de chambre |
Commanditaire | le comte Jospeh Erdödi |
Composition | en 1797 |
Dédicataire | le comte Jospeh Erdödi |
Forme | en quatre mouvements : I. Allegro II. Poco adagio, cantabile III. Menuet. Allegro IV. Finale. Presto |
Instrumentation | quatuor à cordes : violons 1 et 2, alto, violoncelle |
Contexte de composition de l’Opus 76
Revenu d’Angleterre en 1795 après un séjour de plus d’un an à Londres, Haydn reprend son service auprès de la famille EsterházyLe nouveau prince de la famille Esterházy, Nicolas II, a succédé à son père, Anton, décédé quelques jours seulement après le départ de Haydn pour Londres. qui partage son temps entre Vienne et sa résidence à Eisenstadtdans le Burgenland, le land d’Autriche le plus oriental. Sa charge de compositeur est moins lourde qu’à l’époque de feu Nicolas IerNicolas Ier dit « Nicolas le Magnifique » (1714-1790), grand-père de Nicolas II et son devoir est alors essentiellement de composer de la musique religieuse (notamment une messe pour la fête de la princesse Maria, donnée chaque mois de septembre). L’allègement de sa charge permet à Haydn de répondre à diverses commandes et de se consacrer à d’autres compositions plus personnelles telles que les quatuors à cordes destinés aux salons viennoisSeuls les Quatuors opus 71 et 74 sont destinés aux salles de concert londoniennes où, contrairement à Vienne, il est courant d’avoir des programmes mêlant quatuors et symphonies. ou aux soirées dans le château d’Eisenstadt.
C’est probablement en 1796 que le comte Jospeh Erdödi commande à Haydn six quatuors à cordes. Ils sont mentionnés pour la première fois dans une lettre du diplomate suédois Fredrick Samuel Silverstolpe datant du 14 juin 1797 : Il [Haydn] m’a joué au piano des quatuors qu’un certain comte Erdödi lui a commandés pour cent ducats et qui ne seront édités que dans quelques années. Leur maîtrise dépasse l’imagination, ils débordent d’idées nouvelles.
(Vignal p. 529) Une partie du quatuor sera également jouée à Eisenstadt, en septembre.
Afin de permettre au commanditaire de bénéficier un temps des droits exclusifs sur les œuvres, les quatuors ne seront édités qu’en 1799 chez Artaria (les trois premiers comme Opus 75 et les suivants comme Opus 76), puis à Londres la même année chez Longman, Clementi and Co (comme Opus 76 et Opus 76 Livre 2). Les quatuors font vite très bonne impression dans le milieu musical. Dans une lettre adressée au compositeur, datant du 19 août 1799, Charles Burney écrit : J’ai eu la grande joie [...] d’entendre vos nouveaux quartetti très bien exécutés, et jamais musique instrumentale ne m’a plu davantage : ils débordent d’invention, de feu, de goût et d’effets nouveaux.
(Vignal p. 573)
Le langage musical de l’Opus 76
La deuxième moitié du XVIIIe siècle voit s’opérer un changement dans la vie musicale viennoise : en marge des salles de concerts, symphoniques ou lyriques, la bourgeoisie naissante aspire à une pratique de la musique en petits cercles d’amis et amateurs, dans l’intimité des salons. C’est dans ce contexte que se développe le genre du quatuor à cordes.
Avec 68 compositions à son actif, Haydn est considéré comme le père du quatuor à cordes. C’est un genre qui l’occupe continuellement pendant quarante ans, à qui il donne ses lettres de noblesse, et dont il assoit la forme et les principales caractéristiques. L’Opus 76 est le dernier cycle de six quatuors qu’il composeIl ne composera ensuite que les Deux Quatuors à cordes op. 77 et le Quatuor inachevé op. 103.. Il représente la syntèse de toute une vie d’expérimentation du genre, tout en affichant certaines nouveautés dans le langage musical :
- prédominence de la forme sonateLa forme sonate est en trois parties : une exposition, énonçant généralement deux thèmes contrastés, un développement autour de ces thèmes et une réexposition. (en particulier la forme sonate monothématique dans laquelle les motifs découlent les uns des autres) dans les premiers et derniers mouvements ;
- grande importance donnée aux mouvements lents qui deviennent souvent les mouvements les plus longs des quatuors. Les tempos y sont particulièrement étirés (donnant une impression d’immobilité) et les tonalités de plus en plus éloignées de la tonalité pricipale au fil de l’opus ;
- grande importance également des finales qui sont davantage travaillés, moins légers qu’auparavant : emploi du mode mineur (quatuors n° 1, 2 et 3), accélération du tempo, point culminant à la codapartie conclusive faisant souvent office de développement terminal ;
- tendance à une écriture dense, contrapuntiquequi suit les règles du contrepoint, c’est-à-dire l’art d’agencer entre elles des lignes mélodiques autonomes, de manière harmonieuse ;
- le menuet du n° 1 est déjà presque un scherzoDéjà chez Haydn, mais plus encore avec Beethoven, le menuet classique sera remplacé par le scherzo, plus vif de caractère. La forme reste généralement la même que le menuet : scherzo - trio - scherzo. par son caractère.
Déroulé de l’Opus 76 n° 3 « Empereur »
I. Allegro
Comme souvent chez Haydn, le premier mouvement est de forme sonate monothématique : plutôt que d’opposer deux thèmes différents dans l’exposition, comme on le rencontre souvent dans la forme sonate classique, il préfère utiliser un seul thème dont il énonce plusieurs variantes. La partie centrale (le développement) travaille les différents motifs constitutifs du thème principal. Le passage sur les accords des cordes graves (alto et violoncelle) évoquant un bourdon de musette est particulièrement saisissant par son caractère populaire. La réexposition reprend les idées initiales en occultant certaines variantes, et le mouvement se termine sur une coda più presto (plus rapide).
II. Poco adagio. Cantabile
Le deuxième mouvement est de forme thème et variations. Le thème principal est l’hymne Gott erhalte, composé quelque temps plus tôt en l’honneur de l’empereur François II. C’est ce mouvement qui vaudra au quatuor le surnom d’« Empereur » (voir l’encadré plus bas consacré à l’hymne).
Le thème passe d’un instrument à l’autre au fil des variations mais ne subit aucune transformation. Seule l’harmonisation change, tandis que l’écriture devient de plus en plus dense et complexe.
III. Menuet. Allegro
Le troisième mouvement reste très classique dans sa forme : menuet - trio - menuet da capo. Le menuet est en deux parties, chacune avec reprise. Le trio, comme il est d’usage dans la forme du menuet, voit sa texture s’alléger, les quatre instruments jouant rarement tous ensemble : le violon 1 mène le discours, ponctué de quelques interventions des autres instruments ou soutenu harmoniquement en valeurs longues. L’originalité du trio est son mode mineur, rare chez Haydn.
IV. Finale. Presto
Le finale démarre en force avec trois accords forte annonçant clairement la tonalité de do mineur (alors que le quatuor est en do majeur) et la dramatisation du mouvement. C’est à nouveau une forme sonate monothématique : la seconde idée, en majeur, découle de la première. Les triolets rapides qui parcourent tout le mouvement ajoutent à la frénésie et à la dramatisation du discours musical.
Gott erhalte Franz den Kaiser : la naissance d’un hymne
Suite à la déclaration de guerre, en 1792, de la France révolutionnaire à l’Autriche, les relations entre les deux pays sont très tendues. En 1796, la campagne d’Italie menée par le général Bonaparte menace les territoires sous domination autrichienne, et les victoires successives remportées par les troupes françaises (notamment la bataille du pont d’Arcole en novembre) inquiètent Vienne. Portés par l’élan patriotique qui s’installe dans la capitale, les artistes se mobilisent pour remonter le moral des troupes, et les musiciens composent plusieurs œuvres de circonstance.
L’initiative d’un hymne en l’honneur de l’empereur François II viendrait de Franz Joseph Saurau (président du gouvernement de Basse-Autriche) qui en revendique la paternité dans une de ses lettresLettre de Saurau au comte Moritz Dietrichstein, datant du 28 février 1820 : J’avais souvent regretté, songeant à celui que possédaient les Anglais, l’absence chez nous d’un hymne national pouvant témoigner devant le monde entier du profond attachement de notre peuple pour son sage et bienveillant souverain [...]. J’ai commandé le texte au digne poète Haschka, et pour le mettre en musique, je me suis adressé à notre immortel compatriote Haydn, seul capable à mon avis de créer quelque chose d’analogue au God Save the King anglais.
(Vignal p. 516)]. De son côté, Anton Schmid, le conservateur de la bibliothèque de la cour, affirme que c’est Haydn qui, de retour d’Angleterre, aurait manifestéEn Angleterre, Haydn avait fait connaissance avec [le] God Save the King, et envié à la nation britannique un chant grâce auquel elle pouvait, en des circonstances solennelles, exprimer publiquement son respect, son amour et son dévouement pour son souverain. Quand le père de l’harmonie revint dans sa Kaiserstadt bien-aimée, il fit part de ses impressions à ce véritable ami, [...] le Freiherr van Swieten… [Haydn ajouta] qu’il souhaitait pour l’Autriche, qui pourrait ainsi témoigner envers son souverain du même respect et de la même dévotion, un hymne du même genre. [...] Le Freiherr van Swieten alla vite s’entretenir avec Son Excellence le comte Franz von Saurau, [...] et ainsi naquit un chant qui non seulement compte parmi les plus grandes créations de Haydn, mais a acquis la couronne de l’immortalité.
(Anton Schmid dans Jospeh Haydn et Niccolo Zingarelli, cité dans Vignal p. 517) le désir de composer un hymne équivalent à celui des Anglais.
Le texte de l’hymne est donc commandé au poète Leopold Haschka et la musique à Haydn, qui termine sa composition en janvier 1797. Il reprendra ensuite le thème de l’hymne dans son Quatuor à cordes op. 76 n° 3.
En dépit des mauvaises nouvelles venant du front (la victoire de Bonaparte à Rivoli puis la chute de Mantoue), l’hymne Gott erhalte Franz den Kaiser (Dieu préserve l’empereur Franz) est joué pour la première fois le 12 février, jour de l’anniversaire de François II, au Burgtheater de Vienne devant l’empereur en personne, ainsi que dans tous les principaux théâtres du pays. S’il devient rapidement un hymne populaire, le Gott erhalte Franz den Kaiser ne s’impose comme hymne national qu’en 1813, après la bataille de Leipzig et la retraite française.
Focus sur I. Allegro
Tout le premier mouvement repose sur un travail motivique très élaboré, construit autour du thème principal dont Haydn va reprendre et développer les différents motifs.
Le thème commence avec un premier motif (a) construit sur des tierces descendantes, qui assoit la tonalité de do majeur. Il est suivi de son écho (motif b), puis d’un troisième motif (c) en syncopes, caractérisé par une terminaison ornée d’une broderie. Une série d’accords clôt le thème en affirmant à nouveau la tonalité principale. Le thème est immédiatement repris par les violoncelle et alto tandis que les violons font entendre un nouveau motif (d) en rythme pointé.
Tout le mouvement va entièrement reposer sur le travail de ces motifs.
Dans un premier temps, l’exposition énonce des variantes du thème principal, variantes construites sur l’un ou l’autre des motifs. En voici quelques exemples :
- la première variante reprend d’abord le motif a, puis le motif c, avant de combiner les deux : la tierce descendante de a suivie de la broderie de c. La tension augmente avec la répétition de la broderie à laquelle s’ajoute le profil rythmique du motif d.
- une autre variante se concentre sur le motif a seulement.
- une variante conclusive reprend le motif b.
Le développement poursuit ce travail motivique avec des jeux de question-réponse entre les instruments autour de la tête du motif a (tierce descendante), du motif b, puis du motif c.
Haydn joue une dernière fois avec la tête du motif a dans la coda, dans un tempo plus rapide.
Focus sur II. Poco adagio. Cantabile
La variation est une forme très prisée de Haydn qui l’utilise à de nombreuses reprises soit en cycle isolé, soit dans un mouvement d’œuvre comme le quatuor ou la symphonie.
Thème : le deuxième mouvement commence avec l’exposition du thème harmonisé à quatre voix à la manière d’un choral. C’est le violon 1 qui tient la mélodie principale.
Variation I : c’est un duo. Le thème est passé au violon 2, tandis que le violon 1 brode un contrechant tout en arpèges, en doubles croches.
Variation II : le violoncelle a le thème, doublé la plupart du temps à la tierce par le violon 2. Le violon 1 se maintient dans le rôle du contrechant, cette fois en syncopes. L’alto n’intervient que ponctuellement pour compléter l’harmonie.
Variation III : enfin, c’est au tour de l’alto d’énoncer le thème principal. Violons 1 et 2 jouent chacun un contrechant à nouveau émaillé de syncopes, bientôt rejoints par le violoncelle pour créer un tissu polyphonique dense où les voix s’imbriquent entre elles.
Variation IV : le violon 1 retrouve le thème, dans une harmonisation chorale à quatre voix qui fait écho au début du mouvement, mais beaucoup plus complexe dans la conduite des voix et dans les harmonies.
Suggestions d’écoutes : comparaison avec le 2e mouvement
Autour du choral
Pour comparer avec l’écriture du thème harmonisé à quatre voix, écouter différents chorals :
- un choral de Buxtehude extrait du Jugement dernier (vers 1682) ;
- un choral de Bach extrait de la Passion selon saint Jean (1724) ;
- le Choral Saint Antoine extrait du Divertimento n° 1 de Haydn (vers 1780) ;
- un choral de Mendelssohn (1839) ;
- le choral orthodoxe qui irrigue la pièce La Grande porte de Kiev, extrait des Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1874) ;
- le choral de cuivres dans la Symphonie n° 2 de Mahler (1888-1894).
Autour du thème et variations
- les variations de Marais sur le thème de La Folia (1701) ;
- les Variations Goldberg de Bach (1741) ;
- d’autres variations de Haydn : pour clavier, dans un mouvement de symphonie ;
- les Variations sur « Ah vous dirai-je maman » de Mozart (vers 1781) ;
- les Variations Diabelli de Beethoven (1819-1823) ;
- le Caprice pour violon n° 24 de Paganini (1802-1817) ;
- les variations sur le thème du Dies Irae dans Totentanz de Liszt (1838-1849) ;
- les Variations sur un thème de Haydn que Brahms a composées sur le thème du Choral Saint Antoine (1873) ;
- les Variations Enigma d’Elgar (1899) ;
- les Variations pour orchestre op. 30 de Webern (1940) ;
- le dernier mouvement du Quatuor à cordes n° 2 de Chostakovitch (1944).
Sources principales
- Bernard FOURNIER, Histoire du quatuor à cordes. Tome 1 : de Haydn à Brahms, Éditions Fayard, 2000
- Rosemary HUGHES, Les Quatuors de Haydn, Éditions Actes Sud, 1989
- Marc VIGNAL, Joseph Haydn, Éditions Fayard, 1988
Auteure : Floriane Goubault