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Symphonie fantastique Hector Berlioz
Carte d’identité de l’œuvre : Symphonie fantastique de Hector Berlioz |
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Genre | musique symphonique : symphonie à programme |
Composition | en 1830 |
Dédicataire | Nicolas Ier de Russie |
Création | le 5 décembre 1830 au Conservatoire de Paris, sous la direction de François Antoine Habeneck |
Forme | symphonie en cinq mouvements : I. Rêveries - Passions II. Un bal III. Scène aux champs IV. Marche au supplice VI. Songe d’une nuit de sabbat |
Instrumentation | bois : 2 flûtes (dont 1 piccolo), 2 hautbois (dont 1 cor anglais), 2 clarinettes (dont 1 petite clarinette), 4 bassons cuivres : 4 cors, 2 cornets à pistons, 2 trompettes, 3 trombones, 2 tubas percussions : timbales, cymbales, grosse caisse, tambour, cloches cordes pincées : 2 harpes cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
1830 : une année révolutionnaire
1830 est une année riche en bouleversements politiques et artistiques. Le 25 février 1830, la première d’Hernani, pièce de Victor Hugo, cristallise l’opposition entre les « classiques », partisans du respect des règles traditionnelles du théâtre, et les « romantiques » menés par Hugo, qui veulent les remettre en question. Le Théâtre-Français, où a lieu la création, voit donc s’affronter les deux parties lors d’une célèbre querelle qui prit le nom de la pièce d’Hugo : la « bataille d’Hernani » symbolise le renouveau du théâtre français par l’avènement du drame romantique, et annonce de façon sous-jacente l’opposition politique qui approche.
En effet, à Paris, les trois journées de révolution dites les « Trois Glorieuses »27, 28 et 29 juillet font tomber la seconde Restauration de Charles X, roi de France, qui laisse place à la monarchie de Juillet de Louis-Philippe Ier, roi des Français. 1830 est également l’année de création de la Symphonie fantastique op. 14 de Berlioz, qui, à l’instar d’Hernani pour le théâtre, fait entrer la musique symphonique française dans le romantisme musical. La principale nouveauté, outre l’originalité de l’orchestration, réside dans le caractère autobiographique de l’œuvre : la relation amoureuse tumultueuse et fantasmée de Berlioz pour la jeune actrice irlandaise Harriet Smithson en constitue le programme, que Berlioz dévoile à la presse quelque temps avant la création et qu’il distribue au public. Il s’agit alors d’un cas unique dans l’histoire de la musique.
Un manifeste du romantisme musical
L’idée de la Symphonie fantastique naît du coup de foudre d’Hector Berlioz pour Harriet Smithson en 1827, lorsqu’il la découvre dans les rôles d’Ophélie et de Juliette de Shakespeare. La partition est tout à la fois une déclaration d’amour pour une femme qu’il n’a pas encore rencontréeBerlioz finira par épouser Harriet en 1833. et un témoignage particulièrement narcissique et exhibitionniste dans lequel le compositeur se met en scène.
Cette symphonie ouvre la voie à la musique à programme, comme le seront les poèmes symphoniquesœuvre symphonique d’inspiration littéraire, picturale ou mythique, caractérisée par une grande liberté formelle de Franz Liszt. Car au-delà l’aspect autobiographique de l’œuvre, Berlioz puise son inspiration dans le Faust de Goethe, découvert récemment dans la traduction de Gérard de Nerval, mais aussi dans les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey.
Musicalement, la Symphonie fantastique innove par son effectif orchestral considérable, qui nécessite par exemple au moins 15 premiers violons, 15 seconds, 10 altos, 11 violoncelles et 9 contrebasses ! Berlioz révolutionne l’orchestre par ses proportions mais également par les alliages originaux d’instruments, qu’il théorisera dans son Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes de 1844.
Berlioz innove également dans la forme et la structure de sa symphonie, par l’utilisation de son « idée fixe », un thème conducteur représentant la femme aimée, que l’on retrouve plus ou moins modifié à mesure de l’évolution psychologique du héros, dans chacun des cinq mouvementsBerlioz rejette ici les quatre mouvements traditionnels. :
- I. Rêveries - Passions ;
- II. Un bal ;
- III. Scène aux champs ;
- IV. Marche au supplice ;
- V. Songe d’une nuit de sabbat.
Enfin, toute la musique est mise au seul service de l’expression des sentiments passionnés du compositeur, faisant fi des diverses conventions d’écriture de l’époque, déjà malmenées par Beethoven. Par son programme découpé en cinq mouvements, par son instrumentation colorée, par le lyrisme musical exprimé, la Symphonie fantastique reprend à son compte les codes de l’opéra. Dans son programme, Berlioz parle lui-même de « drame instrumental » ; il retouchera plusieurs fois sa partition et l’augmentera d’un mélologueTerme inventé par Berlioz pour définir Lélio ou Le Retour à la vie, il désigne un genre musical comportant des passages déclamés alternant avec l’orchestre., Lelio ou Le Retour à la vie, dans lequel l’orchestre, personnage principal du drame, doit être placé sur scène. L’ensemble complet regroupant la symphonie et le mélologue est alors sous-titré « Épisode de la vie d’un artiste ».
La création de la partition est prévue le 30 mai 1830 au théâtre des Nouveautés, mais doit être annulée après des répétitions catastrophiques, les musiciens étant décontenancés par la modernité et la difficulté de l’œuvre. La Symphonie fantastique est finalement créée le 5 décembre 1830, au Conservatoire, sous la direction d’Habeneck et en présence de Franz Liszt. C’est un immense succès comme le rapporte Berlioz dans ses mémoires, avec toute la modestie qu’on lui connaît : Succès extraordinaire. La Symphonie fantastique a été accueillie avec des cris, des trépignements. […] C’était une fureur. Liszt, le célèbre pianiste, m’a pour ainsi dire emmené de force dîner chez lui en m’accablant de tout ce que l’enthousiasme a de plus énergique.
Focus sur IV. La Marche au supplice
Ayant acquis la certitude que son amour est méconnu, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose du narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné des plus étranges visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné, conduit au supplice, et qu’il assiste à sa propre exécution. Le cortège s’avance aux sons d’une marche tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas graves succède sans transition aux éclats les plus bruyants. À la fin de la marche, les quatre premières mesures de l’idée fixe reparaissent comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.
(Programme de la première édition de la partition, en 1845)
Le quatrième mouvement justifie le qualificatif « fantastique » de l’œuvre, et livre à lui seul un certain nombre de thèmes directement associés au romantisme – rêve, inconscient, amour déçu, mort, drogue –, en une palette de sentiments et d’expressions aussi pléthorique que contrastée. Berlioz déclare dans ses Mémoires avoir écrit la Marche au supplice en une nuit. Et pour cause : il s’agit en partie d’une reprise d’une Marche des Gardes pour son projet d’opéra Les Francs-Juges.
D’emblée, l’auditeur est plongé dans une ambiance martiale à la pulsation implacable, grâce au martèlement régulier des timbales. Aux cordes graves, les pizzicatos marquent les temps, évoquant les pas du cortège qui avance. Un premier thème, énoncé aux violoncelles et contrebasses, illustre la marche sombre et farouche
: un mouvement descendant et decrescendo, sur une même cellule rythmique répétée, qui traduit la fatalité de la justice et la mort certaine.
Un second thème, caractérisant la marche brillante et solennelle
, apporte un contraste immédiat avec le premier : joué par les vents en nuance forte, majestueux, sur un rythme pointé entraînant, il semble décrire l’exaltation du héros désespéré. Berlioz alterne ensuite premier et deuxième thèmes et, enfin, le cortège arrive à l’échafaud. Une rapide apparition de l’idée fixe à la clarinette évoque les pensées ultimes de l’artiste pour celle qu’il aimait, brusquement interrompues par un accord sec de l’orchestre, tel le couperet de la guillotine qui tombe. Le mouvement se termine dans la joie et l’allégresse, roulement de timbales à l’appui, la foule applaudissant et manifestant sa joie suite à l’exécution du héros.
Auteur : Antoine Mignon