Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Un Italien à Versailles
Jean-Baptiste Lully (d’origine italienne, son nom original est Giovanni Battista Lulli) arrive à 14 ans en France, dans la suite de Mlle d’Orléans de Montpensier, nièce de Louis XIII et cousine de Louis XIV.
Il sait chanter, jouer du violon et de la guitare, et son tempérament volontaire est très remarqué. En outre, la noble dame désire parfaire sa connaissance de la langue italienne. Introduit à la cour de Louis XIV après un court exil en Bourgogne, Lully assiste aux fastueux spectacles chantés et dansés, apprend le clavecin, la composition, et se perfectionne dans l’art de la danse C’est grâce à ses compositions pour la danse, dont il fait sa spécialité durant 20 ans, qu’il acquiert une célébrité européenne et accumule une richesse considérable.. C’est d’ailleurs après avoir dansé avec le roi dans Le Ballet de la nuit en 1653 que celui-ci l’engage à 20 ans (Louis XIV n’en a que 14). Il est évident que ses talents d’amuseur ont séduit le très jeune roi. Louis XIV ressent par ailleurs le besoin d’être mis en valeur alors qu’il ne possède pas encore les pleins pouvoirs : jusqu’en 1661 c’est Mazarin qui gouvernera. Lully est enfin récompensé de tous ses efforts quand le roi le nomme à la mort du violoniste Scipione Lazzarini « compositeur de la musique instrumentale du roi. »
Un perfectionnisme qui paie
Après avoir rejoint la Grande BandeAppelée aussi les « Vingt-Quatre Violons ». Jointe aux 12 Grands Hautbois de la Grande Écurie, elle forme le premier orchestre régulier d’Europe reposant sur les instruments à cordes. Chacun des violonistes de la Grande Bande est aussi maître de danse et porte l’épée., Lully se tourne vers la Petite BandeAppelée aussi les « Petits Violons ». Cet ensemble a des fonctions moins officielles que la Grande bande ; Lully peut ainsi y installer une rigueur peu habituelle pour l’époque. Petite Bande et Grande Bande se réunissent pour les grandes occasions. qu’il prend en main et améliore. Les deux ensembles gagnent en rigueur et en précision, préfigurant l’orchestre moderne. Les cordes en forment l’ossature, les sonorités en sont équilibrées, et les musiciens sont moins fantaisistes (en effet, à cette époque, il est habituel pour les musiciens d’orchestre d’ajouter toutes sortes d’ornements et de « diminutions » ornementales à la partition). Dans les ensembles qu’il dirige comme sur scène, Lully prend tout en charge : musique, danse, décors, costumes, et même la machinerie quand il le juge utile.
Lors d’une représentation de l’opéra Xerxès de Cavalli en 1660, ce sont davantage les danses de Lully qui attirent l’attention du public que le reste de l’ouvrage. Il a alors 28 ans et profite d’avoir obtenu la nationalité française pour transformer son nom « Lulli » en « Lully ». L’année suivante, il est nommé surintendant L’un des postes les plus prestigieux. Il choisit les musiciens et les artistes pour toutes les musiques non religieuses, compose pour la cour et fait répéter les musiciens. Il supervise la musique de la Chambre, qui est chargée de divertir quotidiennement le roi.. Un tel parcours s’explique par un caractère volontaire et une capacité de travail hors-norme, mais aussi par un talent particulier pour écarter ses rivaux.
Le très jeune Louis XIV aime la musique et la danse et trouve - dans un premier temps en tout cas - en ce jeune homme fougueux originaire de Florence guère plus âgé que lui un compagnon de loisirs idéal.
De comédie-ballet en tragédie lyrique
Les noms de Molière et de Lully sont indissociables pour leur collaboration durant six ans dans un genre spécifiquement français et neuf : la comédie-ballet La comédie-ballet est inventée par Molière avec Les Fâcheux en 1661. La danse y tient une place importante. Les sujets sont à l’opposé de ceux de la tragédie lyrique : ils mettent en scène en général des personnages ordinaires. Parmi les comédies-ballets de Molière et Lully figurent L’Amour médecin, George Dandin, Monsieur de Pourceaugnac ou encore Le Bourgeois gentilhomme.. Le succès de celle-ci provient du fait que les ballets, plutôt que d’être dansés sans lien comme dans le ballet de cour, genre très apprécié sous Louis XIV, auquel participent la famille royale et les courtisans avec le récit, s’intègrent à l’action. Cette collaboration cesse après avoir culminé dans Le Bourgeois gentilhomme (1670). Lully a 38 ans et se dirige maintenant vers de nouveaux horizons, tandis qu’il ne reste plus à Molière que trois ans à vivre.
Bien que peu favorable dans un premier temps à un véritable opéra en langue française, Lully, en parfait opportuniste et après de multiples intrigues, acquiert à l’âge de 40 ans le privilège de l’Académie royale de musique Il s’agit de la première maison d’opéra en France, créée trois ans auparavant par Colbert pour Perrin. Elle complète l’Académie royale de danse.. Il réunit ainsi tous les éléments pour créer la tragédie lyrique C’est ainsi qu’on appelle l’opéra dans un premier temps, notamment pour s’opposer à l’opéra italien très en faveur en Europe… sauf en France. Les conceptions françaises et italiennes sont très différentes : l’opéra italien aime le beau chant (bel canto) avant tout, tandis que l’opéra français (la tragédie lyrique) est un spectacle complet, dans lequel le texte et la danse ont une importance égale à celle de la musique et des décors. Ses inventeurs, Lully et Quinault, ont véritablement l’intention d’en faire un équivalent de la tragédie classique – celle de Corneille, Racine. Très souvent, le sujet est inspiré de la mythologie. : le lieu, les moyens, le public, le monopole.
Le premier ouvrage créé est Cadmus et Hermione, en 1673. L’auteur du livret, Philippe Quinault, semble convenir à Lully car il lui reste fidèle jusqu’à la fin de sa vie.
Au rythme soutenu d’une tragédie lyrique par an durant quatorze ans (parmi les plus connues : Alceste, Atys, Armide…), Lully devient le plus grand compositeur français d’opéras du XVIIe siècle, après avoir connu une immense renommée européenne pour ses danses. L’un de ses apports les plus importants s’appliquent au récitatif Façon de déclamer en musique le texte, entre le chant et le parler. Lully bénéficie des dix années de recherches dans ce domaine de son collègue Perrin (qui appelle cela des « paroles de musique »), de 1659 à 1669., dans un style qu’il veut vif sans être bizarre
et très adapté au rythme de la langue française. Curieux destin que celui de ce compositeur d’origine italienne qui crée l’opéra français.
Fin de règne
Nommé à 49 ans conseiller-secrétaire du roi, Lully est à l’apogée de sa carrière, célèbre et riche. Pourtant, le soutien du roi est moins inconditionnel qu’autrefois : ses mœurs Il a plusieurs maîtresses et devient l’intime d’un jeune page de la Chambre, que Louis XIV est contraint de faire emprisonner. particulières attirent trop l’attention. Louis XIV est d’ailleurs absent lors de la création d’Armide, sa dernière tragédie lyrique. C’est le début du déclin, un an avant la mort du compositeur.
Lully a 55 ans quand il dirige les répétitions de son Te Deum qui doit être joué pour fêter la guérison de Louis XIV d’une douloureuse fistule. Énervé sans doute par quelque écart de la part d’un des musiciens, il maîtrise mal sa canne et celle-ci se plante dans son pied. L’accident est connu, les suites sont funestes. Il refuse l’amputation du doigt, du pied, puis de la jambe et la gangrène emporte le compositeur français le plus prestigieux du XVIIe siècle.
L’essentiel
- Lully est considéré comme l’un des créateurs de l’orchestre moderne. Il impose une plus grande rigueur dans la discipline et le rythme et prend l’habitude de joindre les autres familles d’instruments à la « Petite Bande » et à la « Grande Bande ».
- Sa collaboration avec Molière dans la comédie-ballet (ex : Le Bourgeois gentilhomme) ne dure qu’un temps : leurs caractères sont incompatibles, et Lully vole vers de nouveaux horizons.
- Il crée l’opéra français (la tragédie lyrique) adapté au goût français de l’époque ; il comporte cinq actes (comme la tragédie de Racine et Corneille) dans lesquels les ballets tiennent une place importante (ex : Alceste).
- Son monopole dans le domaine lyrique éclipse certainement de nombreux talents, et fige l’opéra français pour un siècle.
Auteur : Jean-Marie Lamour