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Œuvre
Concerto pour violoncelle n° 1
Dmitri Chostakovitch
Carte d’identité de l’œuvre : Concerto pour violoncelle n° 1, op. 107 de Dmitri Chostakovitch |
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Genre | musique concertante |
Composition | entre le 1er mai et le 20 juin 1959 |
Dédicataire | Mstislav Rostropovitch |
Création | le 4 octobre 1959 à Leningrad, par Mstislav Rostropovitch (violoncelle) et l’Orchestre philharmonique de Leningrad sous la direction de Evgueni Mravinski. |
Forme | en quatre mouvements : I. Allegretto II. Moderato III. Cadenza IV. Allegro con moto |
Instrumentation | Soliste : violoncelle Orchestre : - Bois : 2 flûtes (dont 1 aussi piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons (dont 1 aussi contrebasson) - Cuivres : 1 cor - Percussions : timbales, célesta - Cordes : violons I et II, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
Après la mort de Staline en 1953, la politique culturelle de l’URSS s’assouplit progressivement. Chostakovitch, qui s’est longtemps censuré par peur des représailles du Parti (plusieurs œuvres, ne correspondant pas aux critères imposés, n’ont pas été jouées en public), compose désormais plus librement. Sa Symphonie n° 10, écrite en 1953, illustre cette émancipation en utilisant pour la première fois le motif DSCHDans la notation allemande, la suite de notes D-Es(S)-C-H (les initiales de Chostakovitch, D. Sch.) correspondent aux notes ré–mib–do-si., signature musicale par laquelle Chostakovitch s’affirme en tant que compositeur et individu. L’année 1958 verra ensuite la réhabilitation de plusieurs musiciens russes, dont Chostakovitch (mais aussi Prokofiev, Khatchatourian…), mis au ban dix ans plus tôt par l’Union des compositeurs. En 1959, il se lance dans l’écriture de son premier concerto pour violoncelle : il commence sa composition le 1er mai et l’achève le 20 juin de la même année.
C’est vraisemblablement après avoir entendu la Symphonie concertante de Prokofiev, créée en 1952 et dont la partie dédiée au violoncelle soliste fait montre d’une redoutable virtuosité, que Chostakovitch envisage d’écrire son Concerto pour violoncelle n° 1. Dans une interview publiée en juin 1959 dans le journal Sovetskaya kultura, le compositeur déclare à propos de la pièce de son compatriote : Cette œuvre m’a totalement captivé et m’a donné envie de tester mes propres compétences dans ce genre.
[1] Toutes les deux dédiées à Mstislav Rostropovitch, alors jeune violoncelliste de talent (à 23 ans seulement il recevait le prix Staline), ces deux œuvres concertantes de Prokofiev et Chostakovitch restent actuellement deux des pièces les plus difficiles du répertoire pour violoncelle.
Le concerto est créé par Rostropovitch le 4 octobre 1959, sous la direction d’Evgueni Mravinski à la tête de l’Orchestre philharmonique de Leningrad.
Analyse de l’œuvre
Au commencement de la composition, Chostakovitch n’était pas encore fixé sur la forme et le nombre de mouvements de son œuvre : Le concerto aura trois mouvements
, dit-il dans une interview. Je ne peux rien dire de définitif à propos de son contenu. Il est toujours très difficile de répondre à de telles questions, malgré leur simplicité, car il arrive souvent que la forme, l’éventail des moyens d’expression et le genre même changent significativement alors que je compose.
[2] Une fois achevé, le Concerto pour violoncelle n° 1 adopte finalement une forme en quatre mouvements. Le troisième, une longue cadence dédiée au seul soliste, est la grande originalité de cette œuvre. Dans trois des quatre mouvements, un motif thématique apparaît, qui ouvre et ferme le concerto, lui donnant son unité et conférant à la pièce une forme dite cyclique.
L’effectif est plutôt sobre, l’orchestre étant essentiellement constitué des cordes (violons 1, violons 2, altos, violoncelles et contrebasses) et des bois par deux. Le cor est le seul représentant des cuivres : sa partie est souvent mise en valeur, donnant la réplique au violoncelle solo. Timbales et célesta complètent l’instrumentarium.
I. Allegretto
Le premier mouvement s’apparente à une forme sonate : exposition des thèmes – développement – réexposition. C’est le violoncelle solo qui commence seul ce premier mouvement, sur un motif de quatre notes, motif qui va innerver l’ensemble de l’œuvre. Les bois répondent, ponctuant le discours d’un rythme de « marche joviale »[3] comme l’appelle Chostakovitch.
Ce premier thème se développe et voit arriver au violoncelle des croches faisant écho au mouvement de marche des bois. Puis il se déploie, traversant tout l’ambitus de l’instrument, du grave à l’aigu, parfois joué en doubles cordes, avant de passer aux cordes sur un ton plus inquiétant que provoquent les dissonances et les grands crescendos menaçants. La tension monte, exacerbée par le trilleornementation qui consiste à alterner très rapidement deux notes séparées par un ton ou un demi-ton du violoncelle.
Un frappement sourd de la timbale marque le début du second thème. Les basses marquent les temps forts de la marche tandis que les bois répondent à contre-temps. Au violoncelle, ce second thème ressemble à une plainte, en valeurs longues répétées, appuyées, insistantes. Le rythme de la marche, quant à lui, est perturbé par le changement de métrique incessant (alternance de mesures à deux temps et à trois temps).
Le thème s’agite, gravite autour de mêmes notes dans un ambitus restreint, comme une rengaine insidieuse qui s’immisce et tourne en rond, montant de plus en plus dans l’aigu de l’instrument. La progression ascendante des cordes et bois graves résonne comme le destin implacable qui s’est mis en marche. Nuance diminuendo, la tension redescend en même temps que le violoncelle retrouve les graves de son instrument ; le second motif passe à la clarinette, un peu moqueuse.
Le retour du thème 1, au cor cette fois, comme un appel de chasse, annonce le développement des thèmes. Les accords dissonants rageusement martelés par le violoncelle, la suite ininterrompue de croches montant dans l’aigu, le motif lancinant de croches repris en boucle par les bois augmentent la tension de cette partie centrale. La frénésie s’apaise avec le retour du thème 1 au cor puis au violoncelle solo qui prépare l’arrivée de la réexposition. Le mouvement se termine avec une coda (partie conclusive d’un mouvement) : autour du thème 1, la nuance diminue progressivement, le violoncelle redescend dans le grave, avant un ultime coup d’éclat fortissimo sur l’amorce du thème 2 ponctuée d’une frappe de la timbale, secco.
II. Moderato
Ce deuxième mouvement adopte le caractère d’une triste sarabandeAncienne danse d’origine espagnole ou sud-américaine, très en vogue dans toute l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles, la sarabande est beaucoup utilisée dans les suites de danses. À trois temps, elle est rythmiquement caractérisée par un deuxième temps allongé qui correspond, en danse, à un pas glissé. que confère l’utilisation privilégiée des cordes dans la partie orchestrale (les bois n’étant essentiellement sollicités que dans la partie centrale). Sa forme se rapproche d’une forme ABA’, où chaque partie est entrecoupée d’une ritournelle de l’orchestre.
Le mouvement débute par cette ritournelle introductive, jouée aux cordes et cor solo. Notée espressivo, très étirée du fait du tempo lent, ses mouvements de dynamique (crescendo, decrescendo) figurent comme de grands soupirs. Mélancolique et plaintif, semblant faire écho à une ancienne mélodie russe, le thème A se déploie au violoncelle, dans l’aigu, sur un contre-chant des altos en croches régulières formant comme des vagues. Les nombreux chromatismesUn mouvement chromatique est un mouvement qui progresse par demi-tons. qui émaillent l’une et l’autre des parties créent régulièrement de douloureuses dissonances entre le violoncelle et les altos. La clarinette s’empare ensuite du thème principal tandis que le violoncelle commence un contre-chant.
La ritournelle des cordes revient et fait la transition vers la partie B. Le violoncelle solo entame alors un nouveau thème qui va en s’animant progressivement, notamment avec de grandes montées expressives, lyriques, dans un tempo plus souple. Les bois entrent enfin en jeu. Leurs ponctuations apportent du mouvement au thème du violoncelle qui va en s’animant et se complexifiant : doubles cordes, traits de doubles croches, triolets en doubles cordes. En même temps, les violons reprennent le thème dans l’extrême aigu, sur la montée chromatique inquiétante des cordes graves : la tension est à son sommet et aboutit à la troisième ritournelle, cette fois reprise par l’ensemble de l’orchestre, fortissimo.
La nuance diminue, la tension redescend, et la partie A revient. Cette fois, le thème est joué en harmoniquestechnique de jeu où le doigt ne fait qu’effleurer la corde, ce qui provoque un son plus aigu et lui confère un timbre plus éthéré au violoncelle, qui se partage la mélodie avec le célesta : les deux instruments forment un dialogue mystérieux, presque évanescent, surnaturel. C’est dans cette atmosphère irréelle que le mouvement se termine, les instruments s’effaçant tour à tour, laissant le violoncelle seul tenir sa note, morendo.
III. Cadenza
Le troisième mouvement enchaîne directement avec le précédent. Il s’agit d’une longue cadencePassage soliste, souvent en fin de mouvement, qui permet au musicien de montrer toute sa virtuosité. dédiée au seul soliste. Cette cadence est une succession des différents thèmes entendus dans les premier et second mouvements, repris ici au violoncelle seul, dans un exercice de virtuosité faisant intervenir différentes techniques de jeu : archet, pizzicatos à la main droite, pizzicatos à la main gauche, doubles cordes…, en parcourant tous les registres de l’instrument, du grave à l’aigu.
La première partie de la cadence reprend des motifs du deuxième mouvement :
Le violoncelle commence avec des variations sur le thème B. Entrecoupé de pizz, il est repris, orné de doubles cordes. | Comparer avec l’occurrence du thème dans le deuxième mouvement. |
Entrecoupée de montées lyriques, c’est ensuite la partie animée du thème B qui est reprise, sur laquelle viennent se greffer des pizz à la main gauche. | Comparer avec l’occurrence du thème dans le deuxième mouvement. |
C’est enfin au thème A d’être repris. En doubles cordes, le violoncelle joue le contre-chant, dans un difficile exercice de polyphonie. | Comparer avec l’occurrence du thème dans le deuxième mouvement. |
Une montée en triolets sert de transition à la deuxième partie de la cadence, Allegretto, qui reprend cette fois le thème 1 du premier mouvement : les notes répétées et les doubles cordes évoquent la première occurrence du thème 1. | Comparer avec l’occurrence du thème dans le premier mouvement. |
Après une montée « accelerando poco a poco » en doubles croches, un nouveau tempo Allegro traite essentiellement du premier thème, noyé dans un flot de doubles croches. | Comparer avec l’occurrence du thème dans le premier mouvement. |
La dernière partie, Più mosso, fait entendre un nouveau matériau thématique : entre les grandes montées et descentes de triples croches, le violoncelle prépare l’arrivée du quatrième mouvement, enchaîné sans interruption.
IV. Allegro con moto
Tout comme la cadence, le quatrième mouvement est enchaîné sans interruption. Le final de ce concerto adopte une structure qui s’approche d’une forme rondo (alternance de couplets et de refrains) : ABACAD–ACoda, où A est le refrain et B, C et D les différents couplets.
A : refrain. D’emblée, ce dernier mouvement se revêt d’un caractère particulièrement acide, ironique. Sur le martèlement des cordes qui, à chaque mesure, appesantit le discours, le hautbois nasillard et la clarinette moqueuse effectuent des sauts d’intervalle figurant des sautillements d’oiseaux persifleurs ou des rires narquois. Piccolo et flûte se joignent au discours, puis le violoncelle reprend seul le thème.
B : couplet 1 Une rapide descente chromatique des bois conduit sans plus de transition au thème de ce premier couplet. Immédiatement, la sensation d’un tempo accéléré se fait ressentir, due aux doubles croches du violoncelle ainsi qu’aux contre-temps des cordes qui donnent une impression de précipitation, de course.
A : retour du refrain. Le thème est joué aux bois tandis que le violoncelle effectue de périlleux bariolages en doubles croches.
C : couplet 2. On quitte l’atmosphère pesante d’une mesure à deux temps pour celle, plus enlevée, d’une mesure à trois temps, presque dans l’esprit d’une danse. Une danse très appuyée néanmoins, aux premiers temps fortement accentués. Ce nouveau thème est d’abord porté par les cordes, puis le violoncelle et les bois. Une première évocation du thème 1 du premier mouvement se fait entendre, très fugace et cachée dans le thème de ce couplet.
Le thème est ensuite repris plus discrètement par les cordes graves et basson, tandis que le violoncelle joue un motif répétitif, entêtant, qui fait brièvement entendre le premier couplet (B). Puis les rôles s’inversent : le violoncelle s’empare à nouveau du thème du couplet 2 (C), interrompu par les clarinettes insolentes qui lancent dans l’aigu des évocations du couplet 1 (B).
A : retour du refrain. À trois temps, le refrain ne perd rien de son caractère grinçant. Il est ici porté par les violons I, tandis que les autres cordes le ponctuent d’intervalles de quartes dissonant avec le thème. Une ultime intercalation du couplet 1 (B) aux bois mène à la partie suivante.
D : couplet 3. Trois coups de timbale, et c’est le thème 1 du premier mouvement qui revient en force, aux bois, puis au cor, et enfin au violoncelle, à l’identique du premier mouvement.
A – Coda. Le retour du refrain amorce une grande coda dans laquelle, dans une incroyable frénésie, un duel s’établit entre le refrain du quatrième mouvement et le thème 1 du premier mouvement qui se superposent. Finalement, c’est le thème du premier mouvement qui remporte la victoire et clôt triomphalement le final et le concerto, bouclant la boucle de cette œuvre cyclique.
Pistes d’écoute
Le motif DSCH dans l’œuvre de Chostakovitch
Le motif DSCH s’immisce dans plusieurs œuvres de Chostakovitch :
- le Quatuor à cordes n° 8 (voir la fiche consacrée à cette œuvre qui met en lumière cette particularité https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0827145-quatuor-a-cordes-n8-de-chostakovitch.aspx). Le thème du premier mouvement du Concerto pour violoncelle n° 1 est également cité dans ce quatuor.
- la Symphonie n° 10 (III. Allegretto).
- le Concerto pour violon n° 1 (II. Scherzo).
Le célesta
Le célesta est un instrument à percussion doté d’un clavier où les marteaux des touches viennent frapper des lames métalliques. Il a été utilisé par plusieurs compositeurs afin de donner un caractère féérique ou mystérieux à leurs œuvres. Écouter :
- Dans la Danse de la fée Dragée, extrait de Casse-Noisette de Tchaïkovski, le thème principal est joué au célesta.
- Bartók consacre une place privilégiée à l’instrument dans Musique pour cordes, percussion et célesta.
- Dans Le Tour d’écrou de Britten, le célesta est l’instrument associé au fantôme de Peter Quint.
- Dans la saga cinématographique Harry Potter, le compositeur John Williams confie le thème de la chouette Hedwige au célesta.
La sarabande
Le deuxième mouvement du concerto adopte le caractère d’une sarabande, une ancienne danse d’origine espagnole ou sud-américaine. Populaire dans le monde hispanique entre 1580 et 1610, elle devient très en vogue dans toute l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Vive à l’origine, elle prend ensuite une allure modérée, voire lente. À trois temps, elle est rythmiquement caractérisée par un deuxième temps allongé (par une valeur longue, souvent un rythme pointé) qui correspond, en danse, à un pas glissé.
La sarabande a été beaucoup utilisée dans les suites de danses à l’époque baroque. Écouter par exemple la célèbre Sarabande de la Suite n° 4 extraite des Suites de pièces pour clavecin de Haendel, reprise dans le film Barry Lyndon de Kubrick, dans un arrangement pour orchestre à cordes. Écouter aussi les nombreuses sarabandes qui émaillent les suites de Bach, Couperin, Rameau… La sarabande a aussi continué d’irriguer les œuvres au cours des siècles suivants. Souvent, les compositeurs s’en emparent avec l’intention de faire écho à une époque passée, de composer « dans un style ancien ». Écouter :
- Grieg, le deuxième mouvement de la Suite pour cordes « Du temps de Holberg » ;
- Britten, le troisième mouvement de la Simple Symphony ;
- Debussy, le deuxième mouvement de sa suite Pour le piano ;
- Satie, les Trois Sarabandes pour piano.
Dans chacun des exemples, essayer de repérer les caractéristiques de la sarabande : un tempo lent, à trois temps, un deuxième temps allongé (souvent par un rythme pointé ou une valeur de deux temps).
Références des citations
- [1] cité par Alexander Ivashkin dans « Dmitri Shostakovich’s First Cello Concerto », pp. 127-130, New Collected Works, Series III, Vol. 46. Moscow : DSCH Publishers, 2011. ↑
- [2] interview dans Sovetskaya kultura le 6 juin 1959, propos cités par Alexander Ivashkin dans « Dmitri Shostakovich’s First Cello Concerto », pp. 127-130, New Collected Works, Series III, Vol. 46. Moscow : DSCH Publishers, 2011 ↑
- [3] interview dans Sovetskaya kultura le 6 juin 1959, propos cités par Alexander Ivashkin dans « Dmitri Shostakovich’s First Cello Concerto », pp. 127-130, New Collected Works, Series III, Vol. 46. Moscow : DSCH Publishers, 2011. ↑