Byard Lancaster (1942-2012)
Musicien d’une ville, Philadelphie, dont il incarne l’esprit fraternel et défend les spécificités au prix d’une relative obscurité, Byard Lancaster cultive un nomadisme géographique et esthétique qui l’a amené à souvent séjourner en Europe. Pratiquant tant la flûte que le saxophone, il revendique, comme nombre de musiciens de sa génération, une approche sans œillères, embrassant tout le spectre de la musique afro-américaine, du rhythm’n’blues au free jazz sans oublier leurs échanges avec la sphère caraïbe, dans un geste où s’entrecroisent motivation spirituelle et engagement en faveur de sa communauté.
Premiers enregistrements
Né le 6 août 1942, à Philadelphie, c’est grâce à sa sœur aînée (qui deviendra par la suite professeur de musique et participera à certains de ses projets) que Byard Lancaster se familiarise, enfant, avec la musique et le piano. Sa mère lui offre un saxophone alto dès l’âge de cinq ans. Il grandit dans le quartier de Germantown où il compte comme camarade le pianiste Kenny Barron. Adolescent, il fait ses débuts avec le batteur J.R. Mitchell. Après une première année à l’université Shaw en Caroline du Nord (1960-61), il passe par le Berklee College of Music (1962-63) où il se lie avec le pianiste Dave Burrell, le trompettiste Ted Daniel et le guitariste Sonny Sharrock qui seront parmi ses partenaires après son installation à New York. Évoluant dans le milieu du free jazz, partageant un loft avec Burrell fréquenté par de nombreux musiciens, il s’inscrit dans une communauté où les échanges et les rencontres vont bon train. Il est ainsi membre du bien-nommé Untraditional Jazz Improvisational Team formé par Burrell avec le contrebassiste Sirone et le batteur Bobby Kapp (1965). L’année suivante, à la flûte ou à l’alto, il participe à sa première séance d’enregistrement avec le batteur Sunny Murray pour ESP, accompagne le saxophoniste Marzette Watts et contribue à l’album Intents & Purposes du trompettiste Bill Dixon. En 1968 paraît son premier album, It’s Not Up to Us, enregistré avec Sharrock et des musiciens de Philadelphie, Jerome Hunter et Eric Gravatt. Cette année-là, il tourne en trio et enregistre pour Blue Note avec l’organiste Larry Young.
Entre les États-Unis et la France
À l’apogée de la présence des free-jazzmen américains dans la capitale française, il gagne Paris en 1969 à l’initiative de Sunny Murray, avec qui il joue au festival d’Amougies en Belgique et au club Le Chat qui pêche, et participe au disque An Even Break (Never Give a Sucker) dans la série BYG « Actuel ». La décennie suivante sera l’occasion de nombreux allers-retours entre New York, Paris et Philadelphie, où le saxophoniste entretient des relations avec de nombreux musiciens. Dans sa ville natale, il s’inscrit au sein du collectif Sound of Liberation avec le vibraphoniste Khan Jamal et la guitariste Monnette Sudler (1972) dans un registre soul-funk ; en France, il travaille avec le contrebassiste Didier Levallet et enregistre neuf disques pour le label Palm de Jef Gilson, parmi lesquels Mother Africa avec le trompettiste Clint Jackson, Us en trio avec le batteur Steve McCall et le bassiste malgache Sylvin Marc, Funny Funky Rib Crib (1974) qui répond à son ambition de faire se rejoindre, selon ses propres dires, le Love Supreme de Coltrane avec la Sex Machine de James Brown, soit deux versants de l’expression afro-américaine, profane et spirituelle. À New York, il côtoie les représentants de la Loft Generation par le biais de Sunny Murray et de son groupe Untouchable Factor (Wildflowers Sessions, 1976 ; Charred Earth, 1977). Comme une forme de synthèse après une dense décennie, il enregistre entièrement en solo en 1979 le disque Personal Testimony, dans lequel il chante et joue des saxophones alto et soprano, de la clarinette basse, des flûtes, du piano et des percussions qu’il superpose en utilisant la technique du rerecording.
Indéfectible lien avec Philadelphie
Par la suite, Lancaster collabore avec Doug Hammond (Folks, 1980 et Spaces avec Steve Coleman, 1982), travaille avec Kip Hanrahan (Coup de tête, 1981), participe aux débuts de la Decoding Society funky-free du batteur Ronald Shannon Jackson (Nasty, 1981) et, ayant toujours le blues à cœur, enregistre avec Johnny Copeland et le violoncelliste David Eyges avec qui il publie plusieurs disques, dont un composé de reprises du répertoire du chanteur Lightnin’ Hopkins. En outre, il passe du temps en Jamaïque où il enseigne (1983-86), figure dans le big band du trompettiste Sonny Bradshaw et s’investit dans l’organisation d’un festival. Côté Philadelphie, on le retrouve auprès de Khan Jamal, du bassiste Jamaaladeen Tacuma (Jukebox, 1987) et au sein du Saxophone Choir d’Odean Pope (1990). Editée à compte d’auteur ou sur de petits labels indépendants, sa production phonographique personnelle demeure confidentielle mais témoigne d’un esprit intact : Worlds aux accents caraïbes (Gazell, 1993) ; My Pure Joy (Black Fire, 1995) enregistré avec des musiciens rencontrés au Nigéria ; Byard Lancaster Trio sans piano (Soutrane Recording, 1999) ; Red Planet du collectif Mad 2 Earth qui comprend un joueur de Theremin (Dreambox, 2001)…
Indéfectiblement attaché à Philadelphie où il réside, Lancaster cosigne ou participe à plusieurs disques qui témoignent de sa fidélité aux musiciens de sa ville tels, en 2001, le Philadelphia Spirit in New York pour le label CIMP avec le saxophoniste Odean Pope, le bassiste Ed Crockett et le batteur J.R. Mitchell ; le projet African Rhythm Tongues du vibraphoniste Khan Jamal qui articule le jazz à la parole de poètes urbains ; ou The Out Cry en trio avec Crockett et Mitchell. Une de ses compositions plaide pour la libération de l’activiste Mumia Abu-Jamal. Son arrestation pour avoir joué sans autorisation dans les couloirs du métro de sa ville a suscité une vague d’indignation. En 2003, Lancaster figure légitimement en bonne place dans la série de disques « Philly Jazz » initiée par un producteur français qui remet en lumière plusieurs figures musicales de Philadelphie et, deux ans après, participe à la reformation du Sound of Liberation à l’occasion du festival Jazz à La Villette.
Byard Lancaster décède le 23 août 2012 à Wyndmoor (Pensylvanie).
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juin 2011)